A Istanbul, les enseignants du « Harvard turc » protestent contre la mainmise du pouvoir sur les universités


A l’université du Bosphore, à Istanbul, le 25 avril 2023. Tous les jours depuis presque deux ans, les professeurs tournent le dos au rectorat en signe de protestation. Sur les pancartes, il est écrit « Université indépendante, libre et démocratique ».

Ils sont tous là sur la pelouse, debout, la toge de l’institution sur les épaules, à tourner le dos au bâtiment du rectorat. Certains tiennent des pancartes entre leurs mains, sur lesquelles on peut lire « Nous n’acceptons pas ». A peine 2 ou 3 mètres séparent les uns des autres. Aucun bruit, pas un geste. Il est 12 h 15 et comme tous les jours à 12 h 15 précises, les quelque dizaines de professeurs présents ce jour-là sur le campus de l’université du Bosphore, le plus prestigieux établissement d’enseignement supérieur de Turquie, se figent et protestent en silence contre la nomination de leur responsable hiérarchique, imposé voilà plus de deux ans par le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son gouvernement.

Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, le rite est immuable. Sauf les week-ends, les jours fériés et les vacances, il se répète chaque jour pendant quinze minutes depuis plus de 850 jours. Depuis que la très grande majorité du corps enseignant de ce « Harvard turc », comme on l’appelle, a pris la décision collective d’entrer « en résistance » contre la mainmise des institutions académiques et le musellement méthodique des voix dissonantes orchestrés par les hommes forts d’Ankara. Certains l’appellent le dernier et ultime îlot de contestation publique et collective du pouvoir en place. A quelques heures d’un second tour, dimanche 28 mai, qui donne le président sortant en position de favori, l’image de ces professeurs rassemblés sur ce coin de verdure surplombant le Bosphore, au calme et en plein cœur d’Istanbul, est un formidable pied de nez à la toute-puissance de l’Etat turc.

Pour comprendre l’importance de ce mouvement unique en son genre, il faut remonter à un vendredi de janvier 2021. Ce jour-là, un décret présidentiel annonce la nomination d’un certain professeur Melih Bulu au poste de recteur de l’établissement. La surprise est totale. L’homme est totalement inconnu du sérail. Jamais son nom n’avait été mentionné pour occuper de pareilles fonctions. Son seul engagement alors identifié est d’avoir été candidat aux élections législatives de 2015 aux couleurs du Parti de la justice et du développement (AKP), la formation d’Erdogan.

« Nous étions trop visibles »

La reprise en main par le pouvoir de certaines grandes universités avait certes commencé depuis quelque temps déjà, comme à l’université d’Istanbul ou à Ankara, avec l’université technique ODTÜ, mais le « Bosphore » paraissait à l’abri. L’institution fondée en 1863, anciennement Robert College, premier établissement d’enseignement supérieur nord-américain en dehors des frontières américaines, a toujours été un endroit à part, surprotégé par sa renommée mondiale et fortement symbolique.

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