« À nos vies imparfaites », de Véronique Ovaldé : des nouvelles du bonheur
À nos vies imparfaites
de Véronique Ovaldé
Flammarion, 160 p., 19 €
À nos vies imparfaites est comme une dédicace à la beauté terrible de la vie, presque une exclamation – « Ah, nos vies imparfaites ! » –, à la limite de la tendre réprimande ou de la lassitude : « Aaah, nos vies imparfaites… »
Le dernier livre de Véronique Ovaldé est un peu tout cela : une pépite, en huit façons, de drôlerie et de mélancolie, variation existentielle aux saveurs de l’enfance qui dit merveilleusement ce qu’il faut de courage pour affronter la vie.
Une époque triomphante
L’autrice y raconte celles et ceux qui, depuis l’ombre dans laquelle ils se tiennent, cèdent leur place à plus malins, plus beaux ou plus rapides. Ceux qui jouent de malchance, les éternels seconds, perpétuels spectateurs de leur propre existence. Ceux que notre époque pressée et triomphante ne célèbre jamais mais dont elle fait son miel, les plaçant le temps d’une tranche de vie au cœur de l’aventure : « des personnages de second plan dans la vie des autres. Des figurants. Comme ceux qui se font assassiner au début du film ou engloutir par la coulée de lave. Mais ils sont le centre de leur propre vie. Leur propre fil à plomb. »
Se frayant ainsi un chemin, voici le malchanceux Auguste, (sur)nommé Baraka, et la discrète Eva, mère célibataire combative qui porte à bras-le-corps sa fille adolescente en quête du « chemin jusqu’à soi » – « On va se débrouiller, dit-elle, on se débrouille toujours. Ce n’est pas tout à fait vrai, on ne peut pas toujours se débrouiller, mais prononcer ces mots est mystérieusement bienfaisant »… Dans la perte ou le manque, dans le douloureux constat de l’enfance révolue, les filles d’À nos vies imparfaites comprennent l’inconditionnalité de l’amour maternel. Il est d’ailleurs beaucoup question de femmes : mères, filles et grands-mères, compagnes ou amies qui toutes se révèlent dans le regard de l’autre, soudain objectivées, sublimées par la plume d’Ovaldé.
Un jeu d’enfant
De ces vagabondages peuplés de pensée magique s’élève la poésie propre à l’autrice, une fantaisie souple et légère. Ici, les chattes s’appellent Jean-Luc et les jeunes filles Bob, les cambrioleurs disent venir du futur et les dodos empaillés et coassant font littéralement exploser d’émotion les cœurs des vieux messieurs poussiéreux… Comme dans un jeu d’enfant, cache-cache ou saute-mouton, voilà les personnages passant d’une nouvelle à l’autre, pour finalement les tenir toutes ensemble, et ces correspondances souterraines concourent à construire un récit impressionniste. Si bien que l’on serait tenté de considérer À nos vies imparfaites, qui vient de recevoir le prix Goncourt de la nouvelle, comme un roman aux chapitres joliment ficelés.
Malgré la mélancolie au goût de pluie, qui court et nous étreint un jour ou l’autre – « Elle n’aime pas quand il pleut. Ça lui évoque la laine mouillée, les rendez-vous chez l’orthodontiste, la cour d’école un jeudi d’octobre (elle a remarqué qu’il pleut plus souvent certains jours de la semaine), l’odeur des marrons pourrissant au fond d’un sac plastique, les ruisseaux sur le sol dans le métro à cause des parapluies posés par terre… » –, il s’agit de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Il s’agit de décider d’être féroce et tendre, comme peut l’être l’existence – « Ce n’est pas si compliqué putain d’être joyeuse. »