À quoi ressemblera l’armée française en 2030


La France poursuit lentement son réarmement entamé en 2017. En cette période de réduction des budgets des ministères, celui de la défense augmentera d’environ 100 milliards d’euros pour la période 2024-2030, soit 413 milliards au total, si le projet de loi de programmation militaire (LPM) présenté le 22 mai à l’Assemblée nationale est adopté en l’état et respecté par les futurs gouvernements.

« Un effort conséquent », note le vice-président de la commission de défense, le député LR Jean-Louis Thiériot. Le gouvernement parle d’une loi de « transformation », après une phase de « reconstruction » (2017-2023) qui avait mis fin à des années de disette. Ce budget inédit permettra à l’armée française de gagner en « cohérence », selon le ministère de la défense.

Une armée plus moderne, mais toujours au format « bonsaï », avec des effectifs et du matériel en quantité limitée. « Cette LPM couvre tout le spectre sans faire de choix capacitaire dimensionnant, avec le risque d’avoir une armée qui fait un peu de tout mais pas assez pour être réellement utilisable », avertit Léo Péria-Peigné, chercheur à l’Institut français des relations internationales. Demain comme aujourd’hui, l’armée française ne pourra pas mener une guerre de haute intensité sans les alliés de l’Otan.

La bombe nucléaire demeure le pilier central de la stratégie de défense de la France depuis le général de Gaulle. Dès lors qu’il s’agit de moderniser la dissuasion, l’État met la main à la poche sans que cela fasse débat au Parlement. Environ 13 % de la prochaine loi de programmation militaire (LPM), soit 54 milliards d’euros, seront ainsi consacrés à l’entretien et l’amélioration des armes atomiques et des vecteurs capables de les transporter.

Avec un volume stable depuis les années 2010, la France ne se lancera pas dans une course aux armements au moment où la Chine prévoit de tripler son arsenal. « Avec 300 têtes nucléaires, la France est en mesure de créer des dommages inacceptables pour un adversaire qui menacerait ses intérêts vitaux. Mais pour cela, elle doit faire évoluer ses vecteurs en fonction des défenses antimissiles adverses », rappelle le vice-amiral d’escadre Jean-Louis Lozier, ancien chef de la division Forces nucléaires de l’état-major des armées (2012-2014), aujourd’hui conseiller à l’Institut français des relations internationales.

La physionomie là encore ne bouge pas : la composante dite « océanique » de l’arsenal nucléaire français sera transportée à bord de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engin, qui disposeront des nouveaux missiles M51.3 dotés d’une capacité de pénétration et d’une portée accrue. Les Rafale, qui seront modernisés, continueront d’assurer la dissuasion aérienne en transportant le missile de croisière à capacité nucléaire ASMP-A rénové.

La LPM débloque également des crédits de recherche et de développement pour construire à partir de 2035 de nouveaux sous-marins nucléaires ainsi que des missiles hypersoniques dont l’armée ne dispose pas aujourd’hui. « Il faut travailler sur plusieurs décennies en matière de dissuasion, si l’on veut garder un coup d’avance sur les défenses adverses », conclut Jean-Louis Lozier.

D’ici à 2030, le renseignement militaire sortira grand gagnant de la prochaine loi de programmation. Le budget annuel de fonctionnement de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) va passer de 500 millions d’euros en 2023 à un milliard dès 2024, sans parler des moyens supplémentaires dévolus aux nouveaux satellites d’observation qui leur profiteront.

De quoi recruter à tour de bras, la DGSE passant de 5 000 à 6 000 salariés sur la période. L’objectif sera notamment d’embaucher des data analystes et des as de l’informatique que s’arrachent les entreprises dès la sortie de l’école.

Une part importante de l’enveloppe financera le déménagement de la « piscine », le surnom de l’enceinte qui accueille aujourd’hui les espions français, vers le fort de Vincennes où sera édifié un nouvel immeuble. « Un gros effort sera fait également sur la partie cyber, avec l’acquisition de nouveaux serveurs et le déploiement de l’intelligence artificielle pour accélérer le traitement des données », ajoute-t-on au ministère de la défense.

Les réservistes sont l’autre changement spectaculaire, leur nombre devant passer de 40 000 à 80 000 environ. La marine, l’aviation, l’armée de terre et le renseignement prévoient des plans de recrutement d’anciens militaires et de civils. Les informaticiens, linguistes et techniciens qui disposent de compétences rares seront particulièrement recherchés. « L’enjeu est de changer de paradigme », a expliqué le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre, lors d’une audition à huis clos devant des députés.

Des réservistes constitueront des unités territoriales, notamment dans les « déserts militaires » où se trouvent des jeunes susceptibles de s’engager pour trois à six mois. Certains officiers s’interrogent cependant sur la capacité à attirer, équiper et encadrer 40 000 renforts supplémentaires d’ici à 2030.

La France n’empruntera pas le chemin de la Pologne, voire de l’Allemagne, qui ont prévu de gonfler leurs effectifs et d’acheter des dizaines de chars et d’avions de chasse face à une Russie de plus en plus imprévisible et agressive. L’armée française de 2030 sera peu ou prou de la même taille que celle d’aujourd’hui avec 275 000 militaires, un nombre de chars lourds équivalent (200) et moins de chasseurs Rafale (137 contre 185 prévus auparavant).

La cavalerie modernisera certes considérablement son parc de véhicules blindés de combat avec l’arrivée d’une centaine de Jaguar (contre 300 attendus auparavant), et plusieurs centaines de Griffon et de Serval, le tout équipé du nouveau système de transmission en direct Scorpion, mais elle se retrouvera finalement avec des centaines de blindés en moins d’ici à six ans, le rattrapage étant reporté à 2035.

Le nombre de fantassins de mêlée classiques baissera d’environ 10 000, autant de militaires qui seront formés à de nouvelles tâches dans la robotique, la conduite de drones, la guerre électronique et le cyber au sein de chaque régiment. « L’armée de terre sera sans doute déclassée par rapport à la Pologne et l’Allemagne, note le vice-président de la commission de défense, le député LR Jean-Louis Thiériot. Hier comme aujourd’hui, nous ne serons pas capables d’engager aux côtés de l’Otan un corps d’armée complet (environ 30 000 hommes). Mais la loi de programmation militaire prévoit de combler de nombreuses lacunes. »

À commencer par l’achat de barques de franchissement de cours d’eau, que la France avait abandonnées. Ou encore une artillerie qui passera de 58 canons Caesar et 33 AUF1 à 108 canons Caesar, ainsi que des stocks de munitions consolidés. « Nous allons fournir à nos unités des capacités pour s’entraîner à la haute intensité en disposant de plus de munitions simples et complexes », promet-on au ministère de la défense.

Quant aux marins, ils sauvent l’essentiel, avec le lancement de la construction du futur porte-avions nucléaire, destiné à remplacer le Charles-de-Gaulle vers 2038. « Si elle ne change pas de format, la marine ne sera plus performante d’ici à 2030 », note Jean-louis Lozier. Les cinq frégates Lafayette, qui ont fait leur temps, seront remplacées par trois frégates de défense et d’intervention, des navires polyvalents et puissamment armés, les deux derniers devant être livrés d’ici à 2035. Autre changement attendu, les sept premiers patrouilleurs hauturiers viendront renforcer la protection du littoral en métropole.

La loi de programmation militaire affiche ses ambitions dans les nouveaux champs de la conflictualité, à commencer par l’espace. L’enveloppe de six milliards d’euros dédiée au spatial vise à accroître les capacités d’observation et de renseignement ainsi que les défenses des satellites tricolores.

Parmi les innovations, la France prévoit le lancement de Yoda, une ébauche des futurs patrouilleurs guetteurs en orbite dont l’armée ne dispose pas aujourd’hui. L’idée est de pouvoir surveiller l’espace depuis un satellite, afin de détecter un éventuel acte agressif. Des expériences seront menées pour être capable d’aveugler momentanément un satellite adverse depuis le sol.

Après l’espace, les fonds marins. Chargée de surveiller le deuxième plus grand domaine maritime du monde (11 millions de kilomètres carrés), la marine française sera dotée d’ici à 2030 de ses premiers drones et robots sous-marins capables de mener des opérations militaires à 6 000 mètres de profondeur. Depuis la fin de la guerre froide, l’armée était obligée de louer à des entreprises privées des sous-marins pour descendre dans les abysses.

L’attaque récente contre le gazoduc Nord Stream en mer du Nord le rappelle : les fonds océaniques ne sont plus à l’abri des conflits de demain. Outre les gazoducs, une puissance pourrait décider de détruire des câbles connectiques, paralysant en partie Internet. Les fonds marins recèlent aussi des trésors convoités : métaux rares, biodiversité foisonnante, réserves de gaz. Autant de ressources sur lesquelles la France veut garder un œil.

Enfin, les armées espèrent combler leur retard dans l’utilisation de drones, ces engins sans pilote consommés par centaines sur le champ de bataille en Ukraine. Les premiers exemplaires de drones tactiques ont été livrés aux militaires qui vont les tester. À terme, la commande prévoit de doter l’armée de terre de 28 drones Patroller, développés par Safran. D’une autonomie de quatorze heures, ils seront capables de se déplacer dans un rayon de 150 kilomètres. Les régiments seront aussi équipés de 3 000 drones de poche, allant de la taille d’une main à celle d’une table, qui sont réservés aujourd’hui aux commandos.

Autre volet de la modernisation des armées : les munitions téléopérées à usage unique, aussi appelés « drones kamikazes », qui ont joué un rôle décisif durant la guerre du Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 2020. Les armées attendent la livraison des engins Colibri et Larinae, capables respectivement de porter des charges à 5 km et 50 km. D’ici là, les régiments s’équiperont des Switchblade 300 américains.

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