« Accompagner la fermeture du Verbe de Vie, une préoccupation de tous les instants »

La Croix : Le 25 juin 2022, le cardinal Jozef De Kesel, archevêque de Malines-Bruxelles et évêque référent, annonçait la dissolution de la communauté du Verbe de Vie, pour laquelle vous avez été nommé administrateur en vue d’une fermeture définitive au 30 juin 2023. Comment s’est passée cette année ?
Mgr François Touvet : La dimension humaine a été ma première préoccupation. Une quarantaine de personnes, hommes et femmes, vivaient dans cette communauté et j’ai voulu leur consacrer tout le temps nécessaire d’écoute, d’accompagnement pour que chacun puisse préparer l’avenir. Certains étaient au Verbe de Vie depuis vingt, voire trente ans, et on leur retirait ce qui était le cœur de leur engagement : l’annonce de la dissolution a été un choc, un traumatisme.
La fermeture est liée à des abus d’autorité et abus spirituels, des agressions sexuelles, et j’ai été aussi à l’écoute des victimes qui le souhaitaient. Seize d’entre elles ont pu être accompagnées par la Commission Reconnaissance et Réparation (CRR).
Comment avez-vous vécu cette mission d’administrateur ?
F. T. : Sans lâcher mon diocèse, je peux simplement dire que cette mission a occupé au moins la moitié de mon temps, constituant une vraie charge mentale, mais c’est de tout mon cœur et conscient de ma responsabilité d’évêque que je me suis engagé auprès des personnes. Il y avait aussi d’autres aspects comme les questions matérielles, pour qu’une fois encore les personnes ne soient pas livrées à elles-mêmes.
Pour mieux répondre aux besoins, j’ai créé un conseil qui a pu m’aider dans ce travail. Dans un souci de vérité et de responsabilité, j’ai aussi fait des signalements auprès de la procureure de la république ou auprès du tribunal pénal canonique national pour certains faits dont j’ai pu prendre connaissance.
La dissolution d’une communauté est une décision extrêmement rare : comment expliquer cette mesure ?
F. T. : Je sais qu’il y a eu dès les débuts du Verbe de Vie des dysfonctionnements importants. La dernière visite canonique ne permettait pas d’espérer une réforme suffisamment profonde, avec des personnes fatiguées par des années difficiles. Bien sûr, cela a suscité de la sidération, du déni, de la colère, et c’est pourquoi nous avons pris le temps pendant une année d’accompagner chacun. En fait, il faut dire aussi qu’il y a eu tromperie, dans le sens où les membres ont été abusés par l’apparence d’une vie religieuse, avec engagement devant l’évêque, la liturgie, l’habit religieux, alors que le Verbe de Vie n’était qu’une association privée de fidèles. Pour les personnes amies qui n’ont pas vécu dans les maisons de la communauté, la surprise était plus grande encore.
Que vont devenir les personnes engagées dans la vie communautaire du Verbe de Vie ?
F. T. : Tout d’abord, dès l’annonce en juin 2022, je les ai rencontrées et j’ai mis en place un accompagnement psychologique et spirituel pendant l’été et au-delà. Elles ont pu aussi réaliser des bilans de compétence.
Pour les sept prêtres, l’avenir se dessine plus facilement : ils sont rattachés à un diocèse, peuvent le rejoindre, ou solliciter une autre incardination. Deux se posent la question d’une vocation religieuse, qu’il faudra reprendre à zéro, les autres se dirigent vers des responsabilités pastorales diocésaines.
Pour les femmes, certaines trouvent un travail comme agent en pastorale, aumônière, ou dans des domaines plus larges, avec au besoin une formation. J’aime dire qu’on ne laissera personne sur le quai de la gare avec sa valise en carton.
Mener à bien une telle dissolution est totalement inédit, et n’a été possible que grâce à la confiance qui s’est établie. C’était pour moi une préoccupation de tous les instants, mais je suis heureux d’avoir rendu ce service. Ces personnes ne sont pas à l’origine des dysfonctionnements, elles sont formidables, elles aiment l’Église.
Vous avez voulu un temps important ce week-end pour « tourner la page ». C’est un peu le dernier acte du Verbe de Vie ?
F. T. : Il reste à gérer des questions matérielles, vendre deux immeubles qui appartenaient au Verbe de Vie, s’assurer du rattrapage des cotisations retraite, trouver l’argent pour les quelque 200 000 € au total qui seront versés aux victimes qui ont suivi le processus de la CRR.
Durant ce week-end de la Pentecôte, j’ai voulu que nous puissions vivre trois étapes. Tout d’abord, rendre grâce, durant la vigile de samedi, pour ce qui a pu être beau dans les années du Verbe de Vie, car tout n’a pas été négatif. Ensuite, dimanche, lors d’un pèlerinage de la cathédrale de Châlons à la basilique de l’Épine, reconnaître le chemin de réparation. Enfin, lundi, en présence du cardinal Josef de Kesel, chacun sera envoyé en mission au service de l’Église universelle.