Alain Souchon à la Maison de Molière



« Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley/ Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil. » La voix qui monte de la scène du Studio de la Comédie-Française est celle de Danièle Lebrun. La comédienne légendaire aux yeux aussi clairs et aux cheveux aussi blonds que Loreley, entame La Ballade de Souchon par des rimes de Guillaume Apollinaire. Inattendu ? Pas vraiment, tant évoquer Souchon, c’est parler poésie.

Françoise Gillard, créatrice de ce spectacle musical qu’elle a adapté avec Amélie Wendling et mis en scène, mais aussi dans lequel elle joue et chante au côté de cinq autres comédiennes, portait ce désir de « faire le portrait d’un poète qui incarne la chanson française, et qui est toujours là, bien présent dans notre paysage ». La sociétaire de la Comédie-Française a redécouvert l’auteur de Foule sentimentale, Ultra moderne solitude et Allô maman bobo avec « ce grand luxe qu’est le temps » imposé par les confinements, entre le feu vert de son patron Éric Ruf en 2019 et la première, le 26 janvier 2023.

Souchon et Voulzy, 50 ans de chanson, quinze albums

Dans l’attente, Françoise Gillard a plongé en « souchonie » avec Amélie Wendling. Elles écoutent alors les quinze albums dont Alain Souchon écrit les paroles et Laurent Voulzy la musique la plupart du temps, du premier J’ai dix ans (1974) jusqu’au dernier en date Âme fifties (2019). Elles visionnent archives de l’INA, entretiens télévisés, documentaires, lisent articles et interviews… sans rencontrer le grand homme.

Alain Souchon a donné son accord après un travail d’approche respectueux de sa timidité. Françoise Gillard a sollicité un ami des deux fils de Souchon, Pierre et Charles (alias Ours pour la scène), le chanteur Gael Faure avec qui elle a monté Le Bruit du blé, un spectacle autour de l’œuvre de Giono, pour la compagnie Les Signatures. Ours a livré cette réponse de son père : « Faites ce que vous voulez ! »

Libre d’agir, la comédienne se fixe deux principes. « Je voulais des femmes de toutes générations et je tenais à préserver ce mystère qui l’accompagne. Sa pudeur autant que ses mots m’ont inspirée. » Danièle Lebrun, Coraly Zahonero, Françoise Gillard, Claire de La Rüe du Can, Yasmine Haller et Emma Laristan, vêtues simplement mais avec chic, seront réunies dans un salon, pour parler de Souchon et le chanter avec trois musiciens.

Theodore Monod et Ronsard à son panthéon

Seize chansons sont retenues et confiées au directeur musical Yannick Deborne. « Le souhait de Françoise était de se référer à un univers très marqué par la guitare. Elle voulait que les chansons soient accompagnées par des instruments acoustiques pour donner une certaine couleur, un côté cosy ; plusieurs guitares sèches donc, un violoncelle et un piano », précise le musicien. Un oud surgit sous ses doigts pour La Vie Théodore, évocation de la haute figure spirituelle de Théodore Monod, inscrite au panthéon du chanteur comme Ronsard, également convoqué en un instant précieux.

L’apparente décontraction de cette réunion de famille chaleureuse l’inscrit dans la vie, en mieux. On écoute la benjamine fanfaronner « T’are ta gueule à la récré ! », la grand-mère ironiser, la jeune sœur s’inquiéter du règne de l’argent roi : « On nous inflige / des désirs qui nous affligent. » On sourit en entendant Souchon se qualifier de « chanteur de foire ». On se projette un extrait de L’Amour en fuite de François Truffaut. On chante en chœur Poulailler’s Song pour rire et s’indigner.

La Comédie-Française a chanté Dylan et Gainsbourg

Déclamation, jeu et chant se mêlent. Les mouvements fluides des comédiennes, leur complicité, la vivacité de leurs échanges, leur apparente spontanéité, tout s’est construit par un travail millimétré. « Nous avons fait une première lecture du script en octobre 2022 et travaillé ensuite nos tessitures avec un répétiteur musical, Mathieu Serradell. Chanter n’est pas notre art et demande beaucoup de travail », confie Françoise Gillard. Deux semaines de répétitions à l’automne sont suivies d’un marathon final : « Nous avons répété tous les jours du 5 décembre au 26 janvier. »

La Comédie-Française a déjà consacré en 2015 un spectacle à Bob Dylan, Comme une pierre qui… Ses créateurs, Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, se sont retrouvés en 2018 pour Les Serge (Gainsbourg, point barre). L’enregistrement de ce spectacle vient de sortir en un disque,La Comédie-Française chante Gainsbourg (Alpha Classics/Outhere Music ) .

Avec Souchon, la Maison de Molière a choisi la proximité d’un artiste vivant, connu pour son franc-parler et coutumier des surprises. « Un soir, pas celui de la première, il est venu à une représentation. Il s’annonce au dernier moment et se glisse dans la salle discrètement, sans que le public ne le voie. » Après le spectacle, il est allé à la rencontre de la troupe. « Il était très touché », sourit Françoise Gillard. Les comédiennes du Français savourent la confidence simple et élégante d’Alain Souchon ce soir-là :« C’est ma vie, ça me ressemble ! »



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