« Au Nicaragua, personne ne peut se sentir libre », entretien avec l’opposante Dora Maria Tellez


Dora Maria Tellez, 67 ans, fait partie des 222 prisonniers politiques libérés par le régime de Daniel Ortega le 9 février, mais immédiatement expulsés du Nicaragua vers Washington et déchus de leur nationalité. Elle avait été condamnée, le 10 février 2022, à huit ans de prison pour « conspiration et atteinte contre la souveraineté nationale ». Mme Tellez, connue au Nicaragua sous son nom de guerre, « Comandante 2 », avait pris les armes alors qu’elle était âgée de 20 ans, rejoignant le Front sandiniste de libération nationale (FSLN), en lutte contre la dynastie dictatoriale des Somoza, au pouvoir quasi sans discontinuer depuis 1936. Elle s’est illustrée dans plusieurs batailles décisives, dont la prise du palais national, en 1978.
Dora Maria Tellez, qui avait interrompu ses études de médecine pour la lutte armée, devient la première ministre de la santé du gouvernement sandiniste, en 1979. Cette intellectuelle, historienne et infatigable militante de la gauche nicaraguayenne s’oppose à l’accaparement du parti par celui qui a gouverné le pays depuis, Daniel Ortega, lorsque les sandinistes quittent le pouvoir en 1990. Expulsée du FSLN, elle fonde, en 1995, avec l’ancien vice-président et écrivain Sergio Ramirez, le Mouvement Renouveau sandiniste (MRS), qui deviendra, en 2021, l’Union démocratique rénovatrice (Unamos).
Avant son arrestation, elle œuvrait à une candidature commune de l’opposition pour l’élection présidentielle de 2021, remportée pour la quatrième fois d’affilée par Daniel Ortega, accompagné sur le ticket présidentiel, comme depuis 2017, par son épouse, la vice-présidente Rosario Murillo. Avant le scrutin, le couple a fait arrêter tous les candidats potentiels de l’opposition.
Vous avez été arrêtée le 13 juin 2021 et enfermée à la prison d’El Chipote. Quelles ont été vos conditions de détention ?
J’ai été arrêtée avec ma compagne, chez nous, de façon violente, par plusieurs groupes de policiers lourdement armés. Notre maison a ensuite été fouillée et nous avons été conduites dans la prison d’El Chipote, qui n’abritait que des prisonniers politiques, et où nous avons été séparées jusqu’au 9 février.
J’ai été enfermée dans la même cellule jusqu’à ma libération, surveillée en permanence par des caméras, avec, en prime, un garde devant ma porte pour s’assurer que je ne communiquais pas avec les détenus des cellules voisines. J’étais soumise à un régime d’isolement total et ne parlais pas plus d’une minute par jour avec les gardes. Nous n’avions droit à aucun livre, même pas la Bible, pas d’accès à du papier ou des crayons. Il n’y avait pas de douche, mais un simple robinet. Je dormais sur un matelas sans drap, ni couverture, ni oreiller. Au bout de cinq mois, j’ai eu droit à une serviette. J’étais maintenue dans l’obscurité totale, à tel point qu’il fallait au moins vingt minutes d’adaptation à mes yeux pour que je parvienne à nouveau à distinguer les contours du matelas lorsque je rentrais des bains de soleil. Pendant seize mois, je n’avais droit de sortir au soleil qu’une fois par semaine et les derniers mois, je sortais un jour sur deux. Toujours seule. C’était extrêmement violent.
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