Au Sahel, la presse en danger



Les menaces qui pèsent sur les journalistes sont de plus en plus alarmantes dans le Sahel, leurs conditions de travail de plus en plus dangereuses. Dernière illustration en date du climat hostile et empoisonné dans lequel les médias évoluent, l’expulsion par la junte burkinabée des correspondantes des quotidiens Le Monde et Libération, samedi 1er avril. Et cela, cinq jours après la suspension de la chaîne de télévision France 24, et quatre mois après celle de Radio France Internationale (RFI).

Si la raison officielle de cette dernière expulsion n’a pas été notifiée aux deux intéressées, elle intervient après des enquêtes sur les crimes de guerre commis par des militaires burkinabés.

Libération avait notamment consacré un article à une vidéo montrant des enfants et des adolescents assassinés dans une caserne burkinabée. La junte avait aussitôt qualifié ce sujet de « manipulations déguisées en journalisme pour ternir l’image du pays des Hommes intègres ».

Une triple menace

Dans un rapport publié lundi 3 avril, Reporters sans frontières (RSF) constate, à son tour, la dégradation alarmante des conditions de travail des médias dans la bande sahélienne, jugeant que l’espace géopolitique qui s’étend de la Mauritanie au Tchad est sur le point de devenir « la plus grande zone de non-information de l’Afrique ». RSF note que les journalistes indépendants, qu’ils soient occidentaux ou africains, sont sous la triple menace des groupes armés, des États autoritaires et de leurs alliés étrangers comme la société privée russe, Wagner.

« Cinq journalistes ont été assassinés, et six autres ont été portés disparus entre 2013 et 2023 », constate RSF. Près de 120 journalistes ont été arrêtés ou détenus pendant ces dix dernières années, dont 72 rien qu’au Tchad.

Un risque d’enlèvement maximum

Si le journaliste français Olivier Dubois, enlevé à Gao le 8 avril 2021, a retrouvé la liberté après 711 jours de captivité, deux autres journalistes maliens, Hamadoun Nialibouly et Moussa M’Bana Dicko, également enlevés par des groupes armés au Mali, sont à ce jour toujours portés disparus. « Les journalistes sont considérés comme de potentielles monnaies d’échange. L’un d’entre eux a été enlevé pour des articles qui avaient déplu à ses ravisseurs », souligne RSF.

Aux menaces directes s’ajoutent les restrictions ou les interdits administratifs pour les empêcher de se rendre sur les lieux de leurs enquêtes. Conséquence ? Les zones défendues ou difficiles d’accès pour les journalistes sont de plus en plus étendues.

L’encadrement de la presse

« Au Tchad, au Burkina Faso et au Mali, la dégradation de la situation des médias est exacerbée par l’arrivée au pouvoir des juntes. Leurs pressions et leurs injonctions patriotiques favorisent le développement d’un journalisme aux ordres et un phénomène d’omerta autour de certains sujets sensibles », explique Sadibou Marong, le directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.

Au motif de lutter contre le cyberterrorisme, les journalistes qui déplaisent aux gouvernements sont arrêtés comme pour Ignace Sossou, de Bénin Web TV, en 2020. Ces mesures restrictives « laissent le champ libre aux médias favorables au narratif prorusse défendant la présence des mercenaires de Wagner dans la région, et contribuent à l’explosion de la désinformation », ajoute Sadibou Marong.

Les pays voisins du Sahel aussi

La liberté de la presse est également attaquée dans les pays frontaliers du Sahel. En Algérie, le patron de presse Ihsane El Kadi, poursuivi pour « financement étranger de son entreprise », a été condamné dimanche 2 avril à cinq années de prison dont trois ferme. Son groupe de presse, l’un des derniers indépendants d’Algérie, a été condamné à la dissolution, tous ses biens saisis confisqués et il doit s’acquitter d’une amende de dix millions de dinars (plus de 68 000 €).

L’accès de la presse internationale au Cameroun est difficile, les articles déplaisants aux autorités et à leur clan sont risqués pour les journalistes camerounais, comme en témoigne l’assassinat de Martinez Zogo, en janvier 2023. Au Sénégal, les restrictions contre la liberté de la presse se multiplient également, comme s’en alarment aussi les ONG de défense des droits humains.



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