Bruno Le Maire, une « fugue » littéraire au cœur du pouvoir


Bruno Le Maire, à la sortie du conseil des ministres, à Paris, le 26 avril 2023.

Ce jeudi 11 mai, Bruno Le Maire joue les spectateurs. Assis à la droite du chef de l’Etat, dans la salle des fêtes de l’Elysée où sont amassés patrons, lobbyistes et élus, le ministre de l’économie écoute, lèvres pincées et regard dans le vague, son ministre délégué à l’industrie, Roland Lescure, présenter le plan « industrie verte ». Ce moment devait être le sien. Mais le puissant patron de Bercy, qui rêvait d’une « loi Le Maire », comme il y eut une « loi Macron » sur l’économie en 2015, ne prend pas la parole pour détailler le projet sur lequel il travaille depuis des mois. L’Elysée en a décidé ainsi. « Vas-y, tu sauras mieux faire que moi ! », s’incline Bruno Le Maire, grand prince, encourageant son collègue de Bercy.

Depuis quelques semaines, l’un des membres les plus populaires du gouvernement n’en fait pas moins parler de lui. La parution de Fugue américaine dans la collection blanche de Gallimard (23,50 euros), un récit centré sur le pianiste Vladimir Horowitz (1903-1989), braque la lumière sur la fonction d’écrivain qu’il occupe la nuit venue. Le 27 avril, un extrait érotique, tiré de son roman de 480 pages, circule dans les sphères du pouvoir. A Matignon, on se gausse de la page 74, scène d’ébats entre le héros, Oskar, et son amie Julia : « Tu viens Oskar ? Je suis dilatée comme jamais. »

Elisabeth Borne explose : « Il ferait mieux de travailler au lieu d’écrire des livres de c… ! » Ses conseillers s’amusent à glisser, lors d’austères réunions, l’expression pour l’inscrire dans les « bleus », les comptes rendus officiels. « Cet ordre du jour est dilaté comme jamais », fait mine de soupirer un proche de la première ministre, à l’heure de conclure l’un de ces rendez-vous formels. A l’Elysée, les lignes scabreuses déclenchent l’ironie mordante du secrétaire général, Alexis Kohler, qui pianote des SMS moqueurs lors d’une réunion de ministres. Emmanuel Macron s’impatiente : « Bon, ça suffit ! »

« Un monde qui salit tout »

Au lendemain de cette sortie littéraire qui dissipe les troupes, fini de rire : l’agence Fitch dégrade la note souveraine de la France. Bruno Le Maire transmet à l’Agence France-Presse une déclaration millimétrée, tandis que l’échantillon de Fugue américaine bouillonne sur les réseaux sociaux. Un homme d’Etat en exercice peut-il écrire à propos de Julia : « Elle me montrait le renflement brun de son anus » ? Des adversaires de gauche, comme le député « insoumis » de Seine-Saint-Denis Thomas Portes, s’emparent de l’œuvre pour fustiger le « mépris » du gouvernement agissant selon son bon plaisir, quand des « millions de personnes n’arrivent plus à manger, remplir leur frigo, payer leur loyer ». Au Sénat, l’élu Les Républicains (LR) de l’Oise Jérôme Bascher dit vouloir éviter, le 3 mai, « que notre dette soit “dilatée comme jamais” ». Le 10 mai, une poignée de manifestants cueillent Bruno Le Maire à Levallois, au pied du siège de L’Oréal, en chantant « Dilaté comme jamais ». Dans l’entourage du ministre, on se désole d’« un monde qui salit tout ».

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