Caravage, Les Banshees d’Inisherin, La Passagère… Les films à voir ou à éviter cette semaine


Un écorché vif du maître des clairs-obscurs, une grandiose brouille dans l’Irlande des années 1920 ou encore une réinvention d’Emma Bovary chez des pêcheurs de la côte atlantique… Que faut-il voir cette semaine? Découvrez la sélection cinéma du Figaro.

Les Banshees d’Inisherin – À voir

Drame de Martin McDonagh, 1h54

Il n’a rien dit. Il n’a rien fait. Mais Colm ne le supporte plus. Padraic ne comprend pas. Comment peut-on tirer un trait sur des années d’amitié ? Tous les jours, ils se rendaient au pub ensemble. Fini tout cela. Cet épisode brutal se déroule en 1923 dans une île au large de l’Irlande. Martin McDonagh filme une fable à la Beckett. Les motifs de la brouille restent enfouis. Un souffle grandiose balaie cette histoire simple. Colin Farrell promène sa frêle silhouette dans ces paysages battus par les vents, erre au milieu de ces maisons au toit de chaume. Il est fragile, désemparé, le regard perdu. Son désespoir soudain est un puits sans fond. Buté, intraitable, Brendan Gleeson ressemble à un menhir. Il est fermé comme un poing. Le sang ponctue cette lente descente aux sources de l’inconscient. Le réalisateur reconstitue le duo de Bons Baisers de Bruges . Le ton, on l’aura deviné, est assez différent. Tout cela n’a aucun équivalent dans le cinéma contemporain. Osera-t-on prononcer le mot chef-d’œuvre ? On osera. E.N.

Joyland – À voir

Drame romantique de Saim Sadiq, 2h06

Joyland met en scène Haider, le fils cadet d’une famille sous la coupe d’un père veuf et autoritaire. Sous le même toit vivent Haider et sa femme, Mumtaz, ainsi que son frère et sa belle-sœur, parents d’une ribambelle d’enfants. Les choses changent quand Haider trouve enfin un emploi dont il ne se vante pas. Il est embauché comme danseur dans un cabaret dont les stars sont des artistes transgenres. La noirceur du tableau dépeint par Saim Sadiq est rehaussée de belles touches de couleur. Joyland n’est jamais misérabiliste. Pourtant, la plupart des personnes transgenres au Pakistan sont reléguées à la marge, devant souvent mendier, danser lors de mariages ou se prostituer. Biba, jouée par la formidable Alina Khan, incarne avec fougue cette contradiction. E.S.

Par cœurs – À voir

Documentaire de Benoît Jacquot, 1h16

Festival d’Avignon 2021, dernières répétitions. Isabelle Huppert et Fabrice Luchini se laissent filmer par Benoît Jacquot. La première ressasse le texte de La Cerisaie qu’elle joue dans la Cour d’honneur dans la mise en scène de Tiago Rodrigues. Il s’agit de conjurer la terreur du texte qui engendre le trac. Le second donne une lecture de Nietzsche et Baudelaire. Il travaille la diction, cherche le rythme, digresse en invoquant Jouvet et Bouquet. Deux méthodes, deux acteurs au travail, à la lutte avec les mots, pour une masterclass passionnante. E.S.

 Caravage – À voir

Biopic de Michele Placido, 1h58

Plutôt que de verser dans le banal film de cape et d’épée, avec rixes de spadassins et épisodes libertins de rigueur, Michele Placido s’est employé à rendre le côté mystique et écorché vif du Caravage, peintre star de son époque avec les caprices et les audaces que cela comporte. Dans la lueur de ses bougies, les palais festoient et les églises ont des majestés silencieuses. Pour incarner le peintre, Riccardo Scamarcio s’est inspiré des possibles autoportraits présents dans les tableaux. Dans le rôle de l’amie et principal soutien, la marquise Costanza Colonna, Isabelle Huppert alterne entre intelligence humaniste et tentations sensuelles. On en ressort avec l’impression d’avoir regardé le quotidien d’un maître ancien, sorte de rock star de son temps. E.B.-R.

Vivre – À voir

Drame de Salmaan Peerzada, 1h42

Un gentleman, austère, portant costume rayé, chapeau melon vissé sur le crâne, serviette de cuir dans une main et parapluie noir dans l’autre attend chaque matin le wagon qui l’amènera sur son lieu de travail. La dignité chevillée au corps, le port de tête impeccable, Bill Nighy incarne à la perfection ce bureaucrate taiseux, discipliné et rigide, qui semble écrasé par son propre conformisme. Lorsque ce personnage au visage impassible apprend qu’il souffre d’un cancer au stade terminal, il prend soudain conscience qu’il a été le passager silencieux de sa propre existence. Dans le sillage des grands mélodrames de Douglas Sirk, la bouleversante chronique intimiste d’Oliver Hermanus s’affiche comme un film dépouillé, poignant, tout en non-dits, et dont le spectateur ressort la gorge nouée. Tout en intériorité et en délicatesse, Bill Nighy crève l’écran. O.D.

La Passagère – On peut voir

Drame d’Héloïse Pelloquet, 1 h 33

Chiara vit de la pêche avec son mari Antoine sur une île de la côte Atlantique. Vingt ans de bonheur et de routine. Un jour débarque Maxence, un nouvel apprenti (Félix Lefebvre, découvert dans Été 85 de François Ozon). Un bourgeois qui joue du hautbois, plein de charme et d’assurance. À force de soulever ensemble des casiers de tourteaux, Chiara en pince pour le jeune homme. Cécile de France est très convaincante, comme toujours. Emma Bovary, elle, a bien changé. E.S.

Unicorn Wars – On peut voir

Film d’animation d’Alberto Vazquez, 1 h 32

Une nation de Bisounours s’est fait embrigader par une junte militaire. Elle voue désormais une guerre cruelle aux licornes, heureuses au fond de leur bois, façon Vietnam. Cela sent l’hommage appuyé à Full Metal Jacket et Orange Mécanique . Présenté cet été au festival d’Annecy, l’ensemble monnaie davantage des baffes et des viscères que des câlins d’amour. La fable hyperviolente, prêche le pacifisme au coup de poing. S.C.

Hinterland – On peut voir

Thriller de Stefan Ruzowitzky, 1 h 38

En 1920, l’Autriche se réveille à grand-peine de l’effondrement de l’empire austro-hongrois. Un soldat revenu de captivité enquête sur l’assassinat de plusieurs vétérans. Un polar historique qui joue avec les codes du film fantastique. Impressionnant. O.D.

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