« Chez les jeunes, l’évaluation de l’information est encore vécue comme une injonction académique et non comme un processus intellectuel »

Dans Grandir connectés : les adolescents et la recherche d’information (C & F éditions, 2015), Anne Cordier, professeur des universités en sciences de l’information et de la communication (laboratoire Centre de recherche des médiations – Université de Lorraine), s’intéressait à la relation entre les adolescents et l’information. A partir d’un riche travail de recherche dans des établissements scolaires, elle interrogeait les préjugés récurrents sur les jeunes et les réseaux sociaux. Mais aussi les craintes concernant ces digital natives ayant grandi avec le Web, dont la relation avec les écrans et l’information est bien plus complexe que ne le laisse entendre le terme de « crétins digitaux » un temps utilisé pour les qualifier.
Dans Grandir informés : les pratiques informationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes, sorti au début de mai (C & F éditions), elle poursuit ses entretiens avec ces adolescents devenus jeunes adultes, en montrant comment leurs pratiques informationnelles ont évolué, les difficultés qu’ils rencontrent en la matière et la place importante de l’éducation aux médias et à l’information dans leur rapport à l’information.
Vous suivez depuis une dizaine d’années ces jeunes nés pendant les années 1990. Comment leur rapport à l’information a-t-il évolué, au fil de leur scolarité, ?
Lorsqu’ils étaient au collège, leurs pratiques informationnelles tournaient beaucoup autour de leurs loisirs et passions, du divertissement, de chanteurs à la mode chez les gens de leur âge, etc. Autant de choses en lien avec la construction identitaire des adolescents qu’ils étaient. Petit à petit, au lycée puis à l’université, les réflexions sur leur orientation et leur avenir professionnel les amènent à rechercher et utiliser de l’information « de service », dont ils ont besoin : sur des formations ou secteurs d’activité spécifiques, des besoins administratifs élémentaires, etc.
C’est au lycée aussi qu’émerge leur intérêt pour l’information d’actualité. Elle devient un élément d’intégration à la vie sociale, un sujet de conversation avec les copains, la famille, etc. Lorsqu’on dit un peu rapidement : « les jeunes ne s’informent pas », il faut donc préciser de quelle information on parle.
Comment s’informent ces jeunes ?
Sans surprise, leur smartphone est la principale porte d’accès à l’information, et plus de 70 % des 15-34 ans utilisent quotidiennement les réseaux sociaux pour s’informer, selon les chiffres de Médiamétrie. Si cette information se fait sur TikTok, Snapchat et Instagram pour les collégiens, les jeunes adultes et étudiants que j’ai suivis utilisent aussi encore Facebook pour s’informer. Ils disent se servir de la plate-forme comme d’un outil de veille, en s’appuyant à dessein sur l’algorithme qui leur propose des vidéos et articles en fonction de leurs « likes » et ceux de leurs amis, de leur abonnement à des pages de médias ou d’influenceurs (HugoDécrypte, etc.), avec un regard plus critique qu’on imagine sur la valeur de ces recommandations.
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