Chez les juifs du Daghestan, après les émeutes antisémites, « un sentiment de trahison »


L’histoire est si belle qu’elle paraît tout droit sortie d’un volume de Contes et légendes du Caucase, ou d’une plaquette promotionnelle soviétique vantant l’amitié entre les peuples, mais elle est véridique : si le rabbin de Makhatchkala, au Daghestan, s’appelle Ali-Soultan Alkhazov, c’est que son père, lui-même rabbin, avait pour meilleur ami un musulman ; celui-ci ne pouvant avoir d’enfant, il avait demandé à son ami de donner son prénom à son aîné. C’est ainsi que le rabbin de 66 ans porte un prénom musulman, légèrement transformé en Eli-Soultan pour ne pas trop dérouter les fidèles.

Ce témoignage rappelle les liens profonds entre communautés dans ce territoire russe à majorité musulmane, situé sur la mer Caspienne, qui compte des dizaines d’ethnies et autant de langues. « C’est dire comme tout ça était impossible à imaginer et nous a choqués », complète le rabbin de sa voix douce, dans sa synagogue lourdement gardée par la police.

« Tout ça », ce sont plusieurs incidents antisémites intervenus dans plusieurs régions russes du Caucase du Nord fin octobre – manifestations antijuives, siège d’un hôtel supposé abriter des « réfugiés israéliens », incendie d’un centre communautaire… – qui ont culminé le 29 octobre avec l’attaque de l’aéroport de Makhatchkala, capitale du Daghestan. Ce jour-là, une foule déchaînée scandant des slogans propalestiniens ou religieux (« Allahou Akbar ») a pris possession des lieux à la recherche d’Israéliens, ou de juifs, allant jusqu’à vérifier les documents des passagers ou à assiéger des avions sur les pistes d’atterrissage.

Au centre, Valeri Dibiaïev, ainsi que des membres de la communauté juive de Makhatchkala (Daghestan), se retrouvent dans la synagogue de la ville, le 16 novembre 2023.
Vue depuis les hauteurs de Makhatchkala (Daghestan), le 17 novembre 2023.
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Trois semaines après, la poussière est retombée, mais le traumatisme est toujours présent. L’un de ses symptômes est l’extrême prudence affichée par les représentants de la communauté juive. « On ne peut que prier pour que ça n’arrive plus jamais », dit le rabbin. « Nous, nous restons ici… Il y a des sujets trop sensibles, appuie le responsable de la communauté locale, Valeri Dibiaïev. Les morts de Gaza et ceux d’Israël nous peinent tous autant… »

« Clairement désignés »

A Derbent, à la frontière avec l’Azerbaïdjan, la « capitale » des Juifs des montagnes, peuple autochtone du Caucase, où un rabbin avait évoqué dans la presse une possible « évacuation » de la communauté, l’accueil est même glacial, les interlocuteurs se défilent.

Les Juifs des montagnes, qui furent jusqu’à 30 000 à l’époque soviétique, avec leurs journaux et leurs théâtres en juhuri, langue dérivée du farsi, ne sont plus qu’une poignée : un peu plus d’un millier d’entre eux sont restés après l’exil massif des années 1990 – vers Moscou, les pays occidentaux et surtout Israël. Malgré leur présence millénaire dans la région, leur faible nombre et leur éparpillement accentuent aujourd’hui le sentiment de vulnérabilité.

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