comment lutter contre le soupçon de manipulation ?



Les messages affluent sur Twitter sous le mot-clé #Jauraisfaitcommeelle. Depuis le 5 janvier, certains internautes, célèbres ou anonymes, affichent leur soutien à celle qu’ils voient comme une « mère courage » : Priscilla Majani, 48 ans. Celle-ci, aux yeux de la justice, est néanmoins coupable. Elle a été condamnée le même jour à deux ans de prison dont neuf mois ferme pour « soustraction d’enfant ».

Cette affaire hors normes a commencé il y a onze ans, quand la mère de famille a disparu avec sa fille de 5 ans en 2011, après avoir accusé le père de viol et d’agression sexuelle sur leur fille. Recherchée, elle avait finalement été extradée en août 2022 de Suisse, où elle s’était installée sous une fausse identité. Onze ans plus tard, elle se voit donc condamnée en appel, les juges n’ayant pas retenu les accusations d’inceste.

Syndrome d’aliénation parentale

Ceux-ci sont-ils trop frileux ? Soupçonnent-ils trop vite le parent « protecteur » de manipulation afin d’obtenir, par exemple, la garde exclusive de l’enfant après un divorce ? Dès lors, comment remédier à ce biais ? « Par une meilleure formation et en les alertant sur le fait que le syndrome d’aliénation parentale n’existe pas », avance l’avocate Me Laure Boutron Marmion.

Selon elle, ce concept serait encore très présent dans les esprits alors même qu’il n’a jamais été étayé scientifiquement. Il consiste à dire que certaines mères trop fusionnelles profitent d’une forme de toute-puissance sur l’enfant pour lui suggérer des faits graves, comme l’inceste, afin de les écarter de leur père. Problème, ce prétendu syndrome n’est pas reconnu par les autorités de santé. Plus encore, il a été décrit par un psychiatre sulfureux : Howard Gardner, lui-même pédophile.

Une idée ancrée

Pourtant, malgré une recommandation du Parlement européen bannissant ce terme, et un récent appel à communication de l’ONU, cette idée resterait ancrée dans la culture. « Le doute sur la parole des femmes est en effet très répandu », atteste Gwenola Sueur, auteure d’une thèse sur le sujet. Car face à des accusations si terribles, si inconcevables, l’esprit humain préfère trouver d’autres explications.

Ainsi, selon son étude, les mères et les pères ne sont pas écoutés de la même façon par les magistrats. La sociologue cite un exemple : « dans une affaire, le père qui menaçait sa femme et ses enfants avait confisqué leurs passeports. Il avait fini par les rendre juste avant de rencontrer le juge. Ce geste avait été porté à son crédit, gommant un peu le vol initial. Son ex-femme n’avait pas bénéficié d’une telle bienveillance. » Pour elle, la formation des magistrats reste donc à améliorer.

« La parole ne peut suffire à condamner »

Les intéressés s’en défendent. « La méfiance systématique vis-à-vis du parent qui arrive en dénonçant un inceste n’est pas du tout une position de principe, s’offusque Cécile Mamelin, de l’Union syndicale des magistrats (USM). Le problème est que certaines associations ou proches de victimes voudraient que la parole de l’enfant suffise à condamner. Or ce n’est pas possible en matière judiciaire, sauf à tomber dans l’arbitraire. Nous écoutons donc la parole des enfants, mais nous devons aussi rassembler des preuves pour l’étayer. Seule, elle ne peut suffire. »

Une juge des enfants le confirme, tout en reconnaissant que la formation de ses confrères reste perfectible. Autre solution ? « La création de pôles spécialisés, afin que les victimes n’aient plus le sentiment que l’auteur présumé est plus protégé qu’elles. » Dans les affaires d’inceste, deux logiques judiciaires s’affrontent en effet : celle du droit pénal, où la présomption d’innocence bénéficie à l’accusé ; et celle du droit civil où le principe de précaution devrait prévaloir, lorsqu’un juge aux affaires familiales transige, par exemple, sur l’autorité parentale. « Or l’équilibre est toujours compliqué à trouver entre les deux. C’est pourquoi nous avons besoin d’une meilleure coordination entre ces deux pôles. »

Actuellement, plusieurs initiatives législatives voient le jour. La Commission inceste demande la suspension temporaire de l’autorité parentale le temps de l’enquête pénale. Deux propositions de lois sont à l’étude : la première, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, prévoit la création de tribunaux spécialisés. La seconde prévoit un retrait plus systématique de l’autorité parentale en cas de crimes et de délits, notamment l’inceste.

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