Danone a-t-il raison de critiquer le Nutri-Score ?
► Nous regrettons que les qualités nutritionnelles des produits laitiers ne soient pas assez valorisées
François-Xavier Huard,président-directeur général de la Fédération nationale des industries laitières (Fnil)
Je comprends la position de Danone qui considère que le Nutri-Score ne va pas forcément dans la bonne direction. Cette entreprise a pourtant été parmi les premières à s’engager dans cette démarche d’information nutritionnelle auprès des consommateurs. Danone n’est d’ailleurs pas seul à interroger les dernières évolutions de l’indicateur. Certains États, comme le Portugal, sont revenus récemment sur sa mise en œuvre
Je rappelle quand même que beaucoup d’acteurs de la filière laitière sont engagés de longue date dans ce projet. Néanmoins, les industriels de la Fnil regrettent que les qualités nutritionnelles des produits laitiers ne soient pas assez mises en avant dans la dernière version du Nutri-Score et que nos demandes d’échanges sur les fondements scientifiques de sa dernière version n’aient pas pu aboutir depuis un an.
Dans le cas de Danone, les yaourts à boire, auparavant classés avec les aliments, se retrouvent désormais comparés aux autres boissons. Leur Nutri-Score devient alors semblable à ceux de certains sodas ou jus de fruits. Certes, les yaourts à boire contiennent du sucre, mais ils apportent bien plus qu’un soda grâce au lait qu’ils contiennent. Pour rappel, les recommandations de santé publique invitent à consommer deux produits laitiers par jour.
Dans la même idée, les fromages sont très mal notés pour leur teneur en gras et en sel, mais eux aussi présentent des intérêts nutritionnels en apportant du calcium, des protéines et d’autres vitamines. Il est vraiment dommage que le Nutri-Score ne mette pas en avant cette dimension. Et pour ces produits, l’unité retenue pour les évaluer ne nous apparaît pas pertinente. Chaque comparaison se fait pour une portion de 100 grammes, or personne ne mange 100 grammes de beurre ou de fromage d’un coup.
Un autre problème qui concerne nos industriels repose sur les recettes mêmes de nos produits laitiers. Il s’agit le plus souvent de processus assez simples, avec peu d’ingrédients. La marge de manœuvre pour adapter la recette et améliorer son score est très maigre, contrairement à d’autres filières de produits plus transformés. Dans certains cas, comme pour les fromages d’appellation contrôlée, les possibilités sont encore plus faibles avec des cahiers des charges à respecter. Cela renforce peut-être le sentiment de déception dans ces évolutions du Nutri-Score.
► Le nouveau mode de calcul tient compte de l’évolution du marché et des connaissances scientifiques
Serge Hercberg, professeur émérite à l’université Sorbonne Paris-Nord, spécialiste de la nutrition en santé publique et créateur du Nutri-Score
Je regrette la position de Danone, qui s’était battue pour que le Nutri-Score devienne obligatoire en Europe. Le nouveau mode de calcul de cet indice a été élaboré par un comité d’experts scientifiques choisis par sept pays européens pour le mettre à jour en tenant compte de l’évolution du marché, des nouvelles connaissances scientifiques en matière de nutrition et du recul acquis sur ce dispositif – le Nutri-Score a été proposé en 2014 et adopté officiellement en France en 2017.
La position de Danone paraît hypocrite, puisque le groupe critique le travail des scientifiques lorsqu’il ne les arrange pas, en l’occurrence pour leurs yaourts à boire sucrés désormais notés D, mais continue de trouver ce travail bien fait pour d’autres produits qu’ils commercialisent, comme leurs eaux minérales notamment dites gourmandes, bien notées car faiblement sucrées. Or ces yaourts à boire sucrés étaient jusqu’ici classés comme des aliments solides et non comme des boissons. Ils étaient donc anormalement bien notés – A ou B – alors qu’ils contenaient plus de 10 g de sucre pour 100 ml, soit 100 grammes pour 1 litre, c’est-à-dire autant qu’un soda, classé E !
La modification du mode de calcul de leur Nutri-Score s’est faite par souci d’apporter une information crédible au consommateur, davantage en adéquation avec les recommandations nutritionnelles qui sont d’éviter de consommer des boissons sucrées en fréquence et quantité importantes, notamment en dehors des repas. En revanche, les yaourts à boire pas sucrés restent bien classés en B, comme le lait.
Avant la mise à jour, des industriels de l’agroalimentaire, des associations de consommateurs, des syndicats agricoles avaient fait remonter des suggestions de modification de l’algorithme du Nutri-Score. Mais en matière de santé publique, il est logique que les experts scientifiques aient le dernier mot, et pas les industriels, sinon le conflit d’intérêts est évident.
Avec cette prise de position, Danone démontre que les arguments marketing l’emportent sur la santé du consommateur et utilise des critiques que d’autres lobbys ont utilisées contre le Nutri-Score et sa mise à jour.
Pourtant, cet outil reste la seule façon pour le consommateur d’être informé sur tous les produits. C’est pour cette raison qu’il doit être obligatoire : cela forcera la main aux grands groupes qui refusent encore qu’il apparaisse (Ferrero, Mondelez, Coca…), et à ceux qui s’étaient engagés à l’afficher et qui rétropédalent, considérant qu’il va à l’encontre de leurs intérêts économiques.