dans la tête des militants écologistes de Dernière Rénovation


Devant le juge, présenter ses excuses. Ignorer les insultes d’un automobiliste bloqué. Se moquer de l’intervention maladroite d’un policier. Pour chacune de ces situations présentées par l’animatrice, Katalina, les treize participants à la formation de désobéissance civile doivent qualifier l’attitude. Est-elle violente, non violente ou neutre ? S’ensuit à chaque fois un échange nourri, mais parfois confus. Pour conclure la séquence, Katalina tente une synthèse : « On se revendique de la non-violence mais c’est un horizon. Il n’y a pas d’action non violente pure, c’est une question de point de vue, c’est subjectif. »

Ce samedi matin, dans un appartement transformé en local associatif, Dernière Rénovation (DR) initie ses nouvelles recrues aux opérations qui ont fait la renommée de la campagne. Militants qui s’enchaînent au filet lors du tournoi de Roland-Garros ou stoppent le Tour de France, qui se collent la main sur le bitume d’une autoroute ou bloquent le périphérique parisien. Chaque action spectaculaire provoque, certes, une pluie de critiques. Mais pour DR, l’audience que lui donnent les médias et les réseaux sociaux est un succès. Les volontaires se bousculent, chaque fois plus nombreux aux formations à cette forme d’activisme.

Ni ultras ni idiots

Comme celle de ce 26 novembre, à laquelle nous nous sommes rendus pour comprendre les motivations de ces nouveaux militants. Une partie de l’opinion voit en eux des ultras ou bien des idiots qui jouent avec leur vie et celle des autres aussi. Les huit filles et cinq garçons qui sont là ce samedi ne sont objectivement ni l’un ni l’autre.

La plupart n’ont jamais milité, à l’image d’Alphonse (1), 21 ans, étudiant en troisième année de médecine, qui s’est décidé sur un coup de tête. « J’étais sensibilisé mais passif, je faisais des petits gestes au quotidien. J’ai vu une interview d’un militant de DR sur Blast (une webtélé, NDLR) qui m’a fait bouger. » Estelle, 25 ans, en formation d’architecture, en a eu « marre de se contenter des petits actes pour la planète ». Quant à Laure, 25 ans, qui travaille dans une start-up, elle a voulu pour la première fois faire quelque chose de « plus politique ».

Des têtes bien faites et une quasi-virginité militante, un profil valable même pour le doyen du groupe, Paul, 35 ans, chef d’entreprise. Tous sont issus de milieux favorisés à de rares exceptions près, comme Jeanne. Fille de parents ouvriers, elle a fait des études d’urbanisme avant une première expérience professionnelle. « Je travaille dans la rénovation urbaine et j’ai vu des maires se contenter de refaire de belles façades d’immeubles sans se soucier des habitants. DR, ça m’est apparu comme la bonne idée, au bon moment. »

« Je veux passer à la colère »

Pour cette génération qui entre dans la vie active, le confinement durant la crise du Covid est venu assombrir un avenir déjà incertain. Laure, grande blonde à la mise classique, évoque ses doutes sur l’idée de fonder une famille. « Je voudrais retrouver la possibilité d’envisager d’avoir des enfants. »

Le terme d’angoisse revient comme un leitmotiv dans tous les témoignages. Qu’il s’agisse de la transcender – « J’ai l’impression de vivre en permanence avec la peur, et maintenant, je veux passer à la colère », revendique Fanny, 29 ans. Ou, plus modestement, d’essayer d’en guérir. Adèle, fonctionnaire de l’éducation nationale, se dit déprimée. « On est en novembre, c’est peut-être lié, mais je ne vois pas beaucoup de raison d’espérer. Je suis là aussi pour trouver auprès des autres de l’aide pour faire un travail sur moi. »

Ce désir de « communauté » et la non-violence sont au cœur de leur motivation. Alors qu’il se heurte à beaucoup d’incompréhension dans son entourage, Alphonse dit retrouver des personnes qui partagent un « même état d’esprit ». Jade, directrice artistique à son compte, a déjà collé des messages féministes sur les murs, la nuit. « Mais je cherchais quelque chose de plus politique. Je suis allée voir au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), mais je n’y ai pas trouvé l’ambiance bienveillante. Ici, c’est le cas. »

La dimension sensible, émotionnelle n’est pas une faille pour la quinzaine d’initiateurs de DR issus du mouvement Extinction Rebellion ou de la société civile. Au contraire, c’est même un moteur assumé du passage à l’acte.

Se « connecter émotionnellement » pour agir

Lors d’une réunion d’information organisée la semaine dernière, au centre de la capitale, Jonathan, l’animateur, présente à la vingtaine de jeunes un état du réchauffement climatique : vingt pour cent de la planète inhabitable, des milliards d’humains déplacés si rien ne se passe « dans les deux ou trois ans qui viennent »

Puis il change de registre. « Tant qu’on ne se connecte pas émotionnellement, les faits restent des faits. Il faut que cela bouge dans nos tripes », provoque le jeune homme avant d’en appeler à un sursaut moral. « Pourrez-vous encore ce soir vous regarder dans le miroir ? Il n’existe rien de plus précieux que notre dignité. »

Son confrère Loïc revient sur le mouvement des droits civiques lancé par une poignée de jeunes Noirs américains, référence à ce qu’il leur propose de vivre. « Lors de la première vague d’action, une dizaine de militants ont été arrêtés. Près de 200 cet automne. Au printemps prochain, ce sera des milliers. »

État d’urgence absolue

Ces nouveaux activistes se voient souvent reprocher une forme d’immaturité que trahit une quête de pureté. Ceux que nous avons rencontrés se montrent toutefois lucides. Si aucun doute n’émerge sur leur légitimité à désobéir face à un État jugé défaillant, la portée de leur action est incertaine. Laure espère que son engagement sera compris dans son entourage mais s’inquiète de la tournure que pourrait prendre la conversation du repas familial à Noël.

« Est-ce que ces actions peuvent desservir la cause écologique ? », se demande Quentin, élève ingénieur. « Je ne pense pas mais je ne peux pas en être certain », admet-il.

Jade, la directrice artistique, s’est inscrite pour une action de blocage qui aura lieu cette semaine. Après la formation initiale, elle a complété son parcours par un brief juridique, une séance de direction d’équipe puis une de médiation (pour désamorcer d’éventuelles tensions). Elle appréhende le passage au poste de police mais s’est organisée. Sa voisine gardera son chien.

Quentin, pour des raisons personnelles, ne peut risquer une interpellation. Il a opté pour un rôle « non arrêtable », comme la prise de vue, le soutien logistique ou psychologique aux bloqueurs.

La spontanéité et la souplesse de cette forme de militance plaisent à cette génération. « J’apprécie ce mode moderne de fonctionnement. On teste des trucs qui ne sont pas forcément voués à durer, puis on passera à autre chose », résume Jade. « Au moins on aura essayé », conclut Alphonse, convaincu que la situation relève de l’état d’urgence absolue.

——–

Une campagne internationale

Dernière Rénovation est une campagne en faveur du climat qui s’inscrit dans le cadre du réseau A 22, actif dans une dizaine de pays.

Le principe est le même : des actions médiatiques et un sujet unique de revendication. Les militants français réclament un plan de rénovation globale du parc immobilier d’ici à 2040.

La première vague d’actions a débuté au printemps, suivi d’une deuxième cet été (blocage du Tour de France). La troisième vague de l’automne va se terminer dans les semaines à venir, et la quatrième sera lancée au printemps.

Dernière Rénovation assure avoir formé environ 500 personnes à la résistance civile et touché 1 200 sympathisants lors des réunions d’information.

Un premier procès de militants bloqueurs a eu lieu le 22 novembre et un deuxième se tiendra ce lundi 5 décembre à Castres (Tarn).



Lien des sources