Élisabeth Borne, la négociatrice



Jusqu’au dernier moment, ­Élisabeth Borne a lu et relu son intervention dans les moindres détails, usant ses stylos quatre couleurs. De manière générale, la première ministre ne laisse aucune place à l’improvisation dans ses discours. Parfois, elle esquisse une fantaisie, un sourire qui anticipe un bon mot contre les oppositions. « Je suis à ma tâche », se plaît-elle à souligner, après trois mois de concertations des partenaires sociaux et des présidents des groupes parlementaires pour élaborer le projet sur l’avenir du système de retraite.

Mais n’est-elle que la simple exécutante d’une réforme voulue par « un hyperprésident », comme la décrivent certains responsables syndicaux et politiques ? En lui remettant le 22 décembre les insignes de grand-croix de l’ordre national du Mérite, le président de la République a loué sa « capacité de travail », son « énergie », sa « force » et sa « loyauté ». Une pluie de compliments pour cette « techno », diplômée de l’École polytechnique, de l’École nationale des ponts et chaussées et du Collège des ingénieurs, qui a « su basculer dans la politique », a ajouté Emmanuel Macron.

En réalité, Élisabeth Borne n’avait pas d’autre choix en l’absence de majorité absolue à ­l’Assemblée nationale. Cette femme issue de la gauche a donc fait du dialogue et de la recherche du compromis sa méthode, depuis son discours de politique générale le 6 juillet. « Je veux qu’ensemble nous redonnions un sens et une vertu au mot “compromis”, depuis trop longtemps oublié dans notre vie politique. Le compromis, ce n’est pas se compromettre. C’est accepter, chacun, de faire un pas vers l’autre », expliquait-elle alors.

« La première ministre est une fine négociatrice », estime-t-on à Bercy. « Maîtrise technique des réformes, échanges à 360° : c’est quelqu’un qui a une conversation ouverte sur les réformes, elle est capable de passer très vite de la technique au politique », souligne-t-on dans un autre ministère. La communication gouvernementale y est bien rodée, qui rappelle l’expérience d’Élisabeth Borne dans les négociations syndicales, quand elle était présidente de la RATP ou ministre du travail.

« Les échanges sont positifs dans la mesure où je la trouve droite et directe. Elle maîtrise le dossier et est capable d’aller très loin dans les détails techniques. Je ne l’ai jamais sentie désarçonnée », témoigne Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, qui s’est entretenu des retraites avec la cheffe du gouvernement à plusieurs reprises. « Dès le début des concertations, elle avait une idée bien précise. J’ai senti très tôt que son point d’atterrissage, c’était la réforme du Sénat. » Chaque année, la droite y vote un amendement proposant de repousser l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, et un passage accéléré à quarante-trois années de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein. Une voie de passage pour trouver un compromis avec LR.

« Je sais que je n’aurai pas d’accord avec vous », a en revanche reconnu Élisabeth Borne dès le début de sa rencontre avec les socialistes, ainsi que le raconte le patron des sénateurs PS Patrick Kanner. « Un mot m’a frappé : elle parle de la notion de “rendement” financier de la réforme, c’est un acte dogmatique », juge-t-il. « Sinon, le ton est cordial. Elle est à l’écoute et dans son rôle, elle a une mission et l’accomplit en bon serviteur. Plus généralement, je n’ai jamais eu autant de contacts avec les ministres sur les lois en préparation. Il y a une consigne de parler aux parlementaires et de respecter le Parlement. »

Si Élisabeth Borne ne peut pas contrôler la mobilisation syndicale, elle cherche déjà à maîtriser le débat parlementaire. « Les échanges avec les groupes sont utiles sur le fond, ce n’est pas une politesse républicaine », relève-t-on au gouvernement, où on est conscient qu’il faudra « doser l’énergie pour obtenir un deal d’un côté et contenir l’obstruction des Insoumis de l’autre ». L’issue de la bataille est incertaine. Ce sera, selon Patrick Kanner, « le chaos ou le pari de l’exécutif sur le fait que les Français ne bougeront pas ».



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