En Polynésie, des élections territoriales indécises entre autonomistes et indépendantistes



Les Polynésiens sont appelés aux urnes ce dimanche ainsi que le 30 avril pour choisir leurs représentants à l’Assemblée de la collectivité française du Pacifique, un scrutin indécis sur fond d’inflation et de rivalités entre autonomistes et indépendantistes.

Répartis sur une surface équivalente à celle de l’Europe, les quelque 209.000 électeurs polynésiens inscrits pourront choisir ce dimanche entre sept listes et élire leurs représentants à l’Assemblée de la collectivité française du Pacifique.

Autonomistes vs indépendantistes

Mais seules deux listes sont portées par des partis implantés dans les cinq archipels et disposent de réelles chances de décrocher une majorité des 57 sièges à pourvoir: celle du président sortant, l’autonomiste Édouard Fritch, et celle du député indépendantiste Moetai Brotherson, qui aspire à lui succéder. Le nouveau président de la collectivité sera élu par l’Assemblée fraîchement élue le 10 mai prochain.

Au pouvoir depuis 2014, Édouard Fritch, 71 ans, mise sur son bilan – l’économie polynésienne a retrouvé son niveau d’emploi d’avant la pandémie de Covid – et l’électorat autonomiste, attaché à la présence de la France et traditionnellement majoritaire. Il compte aussi sur le soutien de 42 des 48 maires des communes de l’archipel, très influents.

Moetai Brotherson, 53 ans, fait lui le pari du changement. Il souligne qu’Édouard Fritch et certains de ses proches tiennent les rênes du pouvoir depuis le début de l’ère de l’autonomie, en 1984. Inversement, avec les indépendantistes, ils présentent de nouveaux visages à l’image de Tematai Le Gayic, élu député l’an dernier à seulement 21 ans.

En remportant les trois sièges dévolus à la Polynésie à l’Assemblée nationale, Moetai Brotherson, Steve Chailloux et Tematai Le Gayic avaient infligé en 2022 la plus sévère défaite jamais essuyée par les autonomistes aux législatives.

Edouard Fritch a notamment payé ses fautes de communication pendant l’épidémie de Covid. Il avait ainsi maintenu à son poste un ministre non vacciné alors que son gouvernement prônait l’obligation vaccinale. Mais les élections territoriales attirent traditionnellement beaucoup plus d’électeurs que les scrutins nationaux.

Si l’opposition surfe sur la vague du renouveau, les sortants agitent ouvertement le spectre d’une rupture avec la France.

“Les autonomistes brandissent la peur de l’indépendance en espérant augmenter leur score”, note Sémir Al Wardi, professeur de sciences politiques à l’université de la Polynésie française.

Moetai Brotherson ne s’y est pas trompé. En campagne, il évoque très peu l’indépendance et plaide la prudence quand la question lui est posée: “nous estimons qu’on ne peut pas demain, de manière précipitée, provoquer un référendum”. La route vers une éventuelle indépendance reste d’ailleurs un sujet de tensions au sein-même de son parti, le Tavini.

Clivage “apaisé”

Son chef historique et ancien président de la Polynésie Oscar Temaru, 78 ans, toujours président du parti, maire de Faa’a et tête de liste, a ainsi assuré en décembre que le scrutin ce dimanche et du 30 avril ferait office de référendum d’autodétermination.

Le courant radical du parti, incarné par Antony Géros, pressenti pour présider l’Assemblée, juge Moetai Brotherson bien trop tiède sur cette question. Mais cette modération lui permet d’espérer conquérir un électorat plus large et de constituer, pour la première fois, une large majorité indépendantiste.

“Le clivage autonomistes/indépendantistes, le seul clivage politique en Polynésie française, s’est apaisé”, remarque à son tour Sémir Al Wardi. “Les indépendantistes rassurent en disant que la priorité n’est pas l’indépendance, mais les problèmes socio-économiques”. Depuis des mois, la campagne électorale porte surtout sur le coût de la vie.

Très isolées et dépendantes des importations, les îles polynésiennes connaissent une forte inflation (8,5% en 2022 selon les Instituts d’émission d’outre-mer). Les Tahitiens ont donc mal vécu l’apparition d’une nouvelle taxe, nommée TVA sociale, pour alimenter les caisses de la sécurité sociale locale, en déficit chronique. Tous les partis d’opposition se sont d’ailleurs engagés à la supprimer en cas de victoire.

Mis en place en 2013 pour mettre un terme à l’instabilité politique qui agitait la Polynésie depuis 2004, le mode de scrutin est peu favorable aux petites listes. Il faut réunir 12,5% des suffrages exprimés pour passer le premier tour, et le vainqueur du second tour obtient une prime majoritaire si importante qu’il détient en général pendant cinq ans les trois quarts des sièges de l’Assemblée.



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