En Tunisie, des avocats dénoncent les intimidations du régime de Kaïs Saïed


L’avocat Ahmed Néjib Chebbi, président du Front de salut national (FSN), lors d’un rassemblement à Tunis, le 9 avril 2023.

Trois mois après la première vague d’arrestations dans l’affaire du « complot » contre l’Etat en Tunisie, c’est au tour de plusieurs avocats de se retrouver dans la tourmente. Ayachi Hammami, militant des droits humains, Ahmed Néjib Chebbi, président du Front de salut national (FSN, la principale coalition d’opposition au président Kaïs Saïed), Noureddine Bhiri, ancien ministre du parti d’inspiration islamiste Ennahda (déjà emprisonné dans une autre affaire), et Bochra Belhaj Hmida, ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), ont été informés, mercredi 3 mai, de l’ouverture d’une enquête contre eux. Trois autres de leurs confrères sont emprisonnés depuis février pour les mêmes motifs. Ces inculpations les empêchent de défendre leurs clients, poursuivis dans la même affaire.

Selon Ayachi Hammami, Kaïs Saïed tente de contrôler la justice par tous les moyens. Après les juges, dont 57 ont été révoqués en juin 2022, « de nombreux avocats sont à présent ciblés », déplore-t-il, appelant l’Ordre national des avocats de Tunisie – toujours très discret sur les dérives autoritaires depuis le « coup de force » du 25 juillet 2021 par lequel Kaïs Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs – à « prendre ses responsabilités ». Malgré les intimidations, Ahmed Néjib Chebbi assure quant à lui que « la lutte continue ». « La prison ne nous fait pas peur », assène-t-il en référence à des conditions de détention et de visite « humiliantes ».

Cette vague répressive a débuté le 11 février, quand les forces de sécurité ont appréhendé Khayam Turki, militant pro-démocratie et fondateur du cercle de réflexion Joussour, Kamel Eltaïef, homme d’affaires et lobbyiste, et Abdelhamid Jelassi, un ancien dirigeant d’Ennahda. Dans les jours qui ont suivi, Noureddine Boutar, directeur de la radio privée Mosaïque FM, et plusieurs figures politiques ont été arrêtés. Nombre de ces personnalités n’avaient aucun lien entre elles, mais leurs arrestations simultanées ont donné l’impression à l’opinion qu’il y avait une cohérence dans la « conspiration ».

Des maisons perquisitionnées

Depuis, plus aucune semaine ne passe sans que la liste des opposants emprisonnés ou poursuivis ne s’allonge. Les militants du FSN, dont Ennahda est l’une des principales composantes, ont été particulièrement visés, jusqu’à l’arrestation du leader du parti islamo-conservateur, Rached Ghannouchi, dans la nuit du 17 avril, et la fermeture des locaux du FSN et d’Ennahda dès le lendemain matin.

Après une relative accalmie, les machines judiciaire et policière ont de nouveau fonctionné à plein régime en ce début mai. Outre des avocats et journalistes poursuivis dans de nouvelles affaires, les maisons de deux familles d’opposants politiques ont été perquisitionnées mercredi dans des circonstances troublantes.

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Saïda Ounissi, ancienne ministre et députée d’Ennahda, a appris que le domicile de ses parents avait été visité en leur absence, quelques heures après qu’une « campagne de diffamation » a été lancée contre elle sur les réseaux sociaux par des partisans de Kaïs Saïed. Selon elle, les policiers en civil ont changé la serrure de la porte d’entrée avant de repartir, sans avoir communiqué de mandat ou donné d’informations aux voisins témoins de la scène. Jeudi, la mère de l’ancienne ministre n’avait toujours pas accès à son logement. De manière quasi simultanée, la maison d’une des filles de Rached Ghannouchi a été perquisitionnée selon les mêmes méthodes.

« Notre bataille est contre Kaïs Saïed, a déclaré Ahmed Néjib Chebbi. Mais cette bataille doit avoir lieu dans un cadre politique et non judiciaire. » De son côté, Ayachi Hammami promet que malgré ces accusations, « il y aura toujours des dizaines d’avocats » pour défendre les opposants au régime de Kaïs Saïed.



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