Jean-Philippe Collard, par amour du son



Attablé devant un « petit café » près de l’église Saint-Augustin à Paris, Jean-Philippe Collard est venu « en voisin » depuis son studio de travail. À 75 ans, l’homme n’a rien perdu de son allure ni son regard de sa vivacité.

Le pianiste évoque volontiers l’anecdote, 100 % véridique, qui accompagne la sortie de son récent CD consacré à la musique de Gabriel Fauré (1). Lors d’un trajet en voiture, il entend à la radio la Première Barcarolle du compositeur dans une interprétation qu’il trouve très mauvaise. Surprise (peu flatteuse) quand la désannonce révèle qu’il s’agit de son propre enregistrement, réalisé en 1970 sous le label EMI. Qu’à cela ne tienne, Jean-Philippe Collard va corriger l’erreur et remettre les Barcaroles sur son pupitre !

Résultat, une vision moins fantasque, plus unie, plus sobre aussi. Et une recherche sonore minutieuse qui confère à ces pièces la limpidité mais aussi la mystérieuse profondeur des lacs de montagne. « Je ne dis pas que c’est “la” version et je sais que des fauréens convaincus préféraient la première, nuance l’intéressé. Mais c’est celle qui me correspond aujourd’hui, le Fauré avec lequel je me sens en familiarité. »

Faire chanter le piano

Le verbe aisé, l’humour à fleur de mot et l’urbanité délicieuse, Jean-Philippe Collard mêle souvenirs de ses débuts et quête actuelle – jamais achevée – des secrets de son instrument. Après le Conservatoire dont il sort « à 16 ans en ne sachant rien », il travaille avec le pianiste Pierre Sancan qui construit méticuleusement sa technique « à raison de deux heures de travail digital intensif chaque jour ». En 1969, le jeune artiste obtient le cinquième prix au Concours Long-Thibaud, « derrière quatre Russes imbattables qui dominaient alors le circuit ! ».

Aujourd’hui encore, s’il reconnaît la virtuosité galopante de pianistes « qui jouent toujours plus vite et toujours plus fort pour répondre aux exigences des salles immenses et au goût de certains mélomanes », c’est ailleurs qu’il cultive son jardin. « Plus j’avance en âge, plus je pense que c’est la sonorité qui prime. Comment faire chanter un instrument dont le mécanisme consiste en marteaux frappant des cordes sous l’impulsion de doigts frappant des touches ? Comment créer la liaison organique entre une note qui meurt et la suivante qui naît ? » Mimant l’archet glissant gracieusement sur le violon, Jean-Philippe Collard assure vouloir « lancer le son à l’auditeur comme un missile de tendresse »

Un pianiste, une sonorité

Poussé dans ses retranchements par une « mondialisation musicale » qui, selon lui, « place la performance plus haut que la sensibilité », il se recentre sur ce qu’il considère « essentiel ». « De toute manière, comme autrefois face aux prodiges russes, je ne pourrais me mesurer aux nouveaux athlètes du piano », sourit-il sans fausse modestie. Pour autant, aucune amertume dans sa voix mais une sagesse reposant sur l’analyse lucide et le plaisir de constater que « les doigts marchent toujours ». Et d’expliquer aussi comment la morphologie du pianiste entre en jeu… dans son jeu. « Grand et sec, dit-il en étendant un bras en effet très long, je ne possède pas d’emblée le toucher enrobant des interprètes plus “enveloppés”. Tel mon ami, le tant regretté Nicholas Angelich, incomparable dans Brahms. La musique française m’est plus naturelle. »

Directeur musical des Flâneries de Reims – sa région d’origine – de 2012 à 2022, Jean-Philippe Collard a fondé une association destinée à transmettre largement la musique hors de ses circuits habituels. « Un piano et un camion, et je peux sillonner les routes de village en village pour nouer le contact avec les habitants. Cela change de l’ambiance solitaire des tournées au bout du monde, des voyages et des hôtels. Et j’ai la joie désormais d’y embarquer des amis musiciens, soucieux de partager leur art et leur passion auprès d’un nouveau public. » Ensemble, ils lancent de nombreux « missiles de tendresse », signés Mozart, Beethoven, Chopin ou Ravel.



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