Julien Decoin, Louise Mey, Rose Tremain, Constantin Sigov…


Sept romans dont un polar et un de fantasy, un recueil de poésie, un récit, deux essais… Voici les brèves critiques de onze ouvrages notables en cette troisième semaine de l’année.

Roman. « Thelma », de Caroline Bouffault

Depuis des mois, Thelma ne mange pas, ou à peine, calculant les conséquences potentielles de chaque aliment sur son poids. Mais, derrière sa frêle carcasse, sous sa peau pâle, l’adolescente dissimule un puissant appétit de vivre. Tel est le paradoxe au centre du premier roman de Caroline Bouffault, qui emprunte à l’héroïne son énergie narquoise, son charme un peu bravache. Thelma relate le combat silencieux entre la jeune fille et « l’Entraîneur », cette voix à l’intérieur de sa tête qui la malmène, l’admoneste, l’encourage à s’alimenter toujours moins et à se dépenser toujours plus, lui souffle des stratégies ­destinées à contourner les tenta­tives des adultes pour l’aider à guérir. Pauvres adultes, d’ailleurs, que la maladie de Thelma met face, sans fard, à leur impuissance et à leurs insuffisances. Ce très original récit d’une émancipation est le premier roman des toutes nouvelles éditions ­Fugue. R. L.

« Thelma », de Caroline Bouffault, Fugue, 256 p., 20 €, numérique 14 €.

Roman. « Temps calme, pleine tempête », de Julien Decoin

Pour la première fois peut-être, le narrateur de Temps calme, pleine tempête ressent pleinement ce que veut dire être père. Protéger son enfant, en prendre mieux soin que de soi-même. Même s’il n’a jamais douté de l’amour qu’il éprouve pour sa fille de 5 ans, le confinement inattendu imposé par un virus mortel le contraint à assumer seul la responsabilité de celle-ci. Le bateau qu’ils devaient prendre pour rejoindre leur épouse et mère est immobilisé. Ils sont séparés pour une durée indéterminée. Habitué à prendre des risques dans sa vie professionnelle, l’homme ne respecterait sans doute pas l’interdiction de circulation s’il était seul. Il lui faut décider quels risques il est capable de faire prendre à la fillette. Dans ce quatrième roman aux airs de fable contemporaine, Julien Decoin interroge sans pesanteur les ressorts quasi métaphysiques de l’amour paternel. Fl. By

« Temps calme, pleine tempête », de Julien Decoin, Seuil, « Fiction & Cie », 192 p., 18 €, numérique 13 €.

Essai. « Psy, pute, curé », d’Antoine Guénin

C’est à partir du métier qu’il exerce qu’est venue à Antoine Guénin, psychologue clinicien et psychothérapeute, l’intuition d’un rapprochement possible entre les « trois pratiques de la relation intime » – du lit au confes­sionnal, en passant par le divan – qu’exercent les psychothérapeutes, les prostitué(e)s et les prêtres. Car ces professionnels ont ceci de commun qu’ils permettent la « décharge » tout en évitant la culpabilisation. A partir d’une comparaison entre de nombreux témoignages, l’auteur analyse ainsi les compétences, le cadre d’exercice et les risques courus par ces « professionnels de la relation », qui finissent tous trois par se révéler professionnels de l’amour. Mais ce qu’ils ­partagent aussi, ce sont des formes ­différentes de marginalisation, auxquelles leur activité les expose. Bien sûr, le choix héroïque de l’ascétisme comme celui, sulfureux, de la tari­fication d’une partie de sa sexualité suscitent l’incompréhension, voire la suspicion. Mais, entre ces deux extrêmes, les patients qui consultent le psy attendent également de lui qu’il ne « participe pas tout à fait au jeu social ». Et ce n’est pas le moindre des mérites de cet essai que de concourir à modifier les représen­tations que nous nous faisons de ces métiers et de celles et ceux qui se font, pour les autres, réceptacles de ce que la société ne peut ou ne veut ­accueillir. So. Be.

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