la CGT prépare l’après-Martinez sur fond de profondes divisions internes



Le congrès de la CGT qui doit désigner le successeur de Philippe Martinez se déroule dans un climat de tensions rarement vu au sein de l’organisation syndicale.

Qui pour succéder à Philippe Martinez à la tête de la CGT? Lundi dans l’agglomération de Clermont-Ferrand, le 53e congrès de l’organisation syndicale s’est ouvert dans une atmosphère houleuse, illustrant les profondes divisions et rivalités au sein de la confédération.

En début d’après-midi, une vingtaine de personnes assurant qu’une délégation avait été empêchée d’assister au congrès sont entrées de force dans la salle de la Grande Halle d’Auvergne à Cournon-d’Auvergne. Peu après, un vote à main levée sur la composition de la commission mandats et votes a donné lieu à de nouvelles tensions, certains délégués soupçonnant une “magouille”.

Cette séquence témoigne à elle seule des dissensions qui fracturent la CGT depuis plusieurs mois. Si le syndicat a repris des couleurs à la faveur de la mobilisation contre la réforme des retraites, portée par une intersyndicale unie autour du duo formé par Philippe Martinez et le leader de la CFDT Laurent Berger, plusieurs voix en interne n’hésitent pas à critiquer le bilan de leur secrétaire général, à la tête de la centrale de Montreuil depuis 2015.

Il faut dire que la CGT a essuyé quelques revers ces dernières années. Le plus dur étant la perte en 2018 de son statut de premier syndicat de France, au profit de la CFDT. Depuis, la confédération, fragilisée par le morcellement du salariat sur fond d’ubérisation de certaines professions, s’est maintenue sur la deuxième marche du podium mais a continué à perdre du terrain.

“Problème d’orientation”

S’ajoutent en interne des critiques sur le mode de gouvernance de l’organisation, jugé trop vertical. C’est en partie pour cette raison que Baptiste Talbot, alors membre de la commission exécutive confédérale, a décidé de claquer la porte il y a un an, mettant en garde contre la “présidentialisation” de la direction. De quoi conforter chez certains l’envie de changement à la tête du syndicat.

Mais les désaccords à la CGT vont bien au-delà d’une simple question de personnalité. C’est la ligne idéologique de l’organisation et sa stratégie qui sont en jeu ici.

“Ce n’est pas un problème de succession, c’est un problème d’orientation (…) Quel avenir pour la CGT?”, s’interrogeait le 19 mars Philippe Martinez sur BFMTV.

Lui comme les autres au sein de l’organisation syndicale ne nient pas les nombreux désaccords qui existent sur le positionnement que la CGT doit adopter: “Est-ce que la CGT prend le monde du travail tel qu’il est? On n’accepte pas les évolutions de la précarité, mais il faut s’occuper de ces personnes qui sont en précarité. (…) Est-ce que la CGT s’occupe d’environnement? Ou on dit les questions environnementales, ce sont des questions sociétales qui n’ont rien à voir avec le social? (…) Est-ce que le féminisme, c’est une question sociétale ou sociale?”, listait le secrétaire général du syndicat.

C’est pour défendre ces thématiques que Philippe Martinez a proposé Marie Buisson pour lui succéder. Secrétaire générale de la Fédération Education Recherche Culture, une “petite” fédération à l’échelle de la CGT, cette professeure de formation est entrée à la Commission exécutive confédérale du syndicat en 2019 et a demandé à travailler sur les questions liées à la transition écologique. En 2020, elle est également devenue la représente CGT du collectif “Plus jamais ça” (rebaptisé Alliance écologique et sociale) qui réunit syndicats, associations et ONG avec la volonté de traiter de front les questions sociales, comme l’égalité hommes-femmes, et environnementales.

Trois lignes qui s’affrontent

Problème, Marie Buisson et sa ligne plus réformiste sont loin de faire l’unanimité. Ses opposants lui reprochent une faible notoriété, de ne pas avoir mené de lutte emblématique et surtout son rôle au sein du collectif “Plus jamais ça” qui souhaite l’interdiction de tout investissement public au secteur des énergies fossiles et s’oppose au nucléaire. Une position dénoncée par de puissantes fédérations industrielles au sein de la CGT qui jugent qu’elle pourrait conduire à la suppression de milliers d’emplois. Elles déplorent plus largement la manière dont Philippe Martinez s’est engagé dans l’Alliance écologique et sociale sans consulter les instances internes.

Dans ce contexte, Marie Buisson pourrait être concurrencée par Céline Verzeletti, la co-secrétaire générale de l’Union fédérale des syndicats de l’Etat. Sans être officiellement candidate, cette ancienne surveillante de prison davantage attachée à la ligne historique de la CGT a le soutien de plusieurs grosses fédérations dont celles des cheminots ou de l’énergie, qui considèrent qu’elle “semble réunir les conditions d’un large accord, d’un rassemblement de l’ensemble des organisations de la CGT, et la possibilité d’un travail collectif” au sein des instances de direction du syndicat.

Le secrétaire général de l’Union départemental des Bouches-du-Rhône, Olivier Mateu, s’est aussi mis sur les rangs, reconnaissant “quelques désaccords” avec Philippe Martinez, mais sa candidature ne respecte par les critères définis par le Comité confédéral national et ne devrait pas aboutir. Toujours est-il qu’il recueille le soutien des partisans d’une ligne plus radicale. Olivier Mateu est en effet le tenant d’une ligne dure qui refuse un syndicalisme “engoncé”.

“Si vous voulez qu’on fasse venir des jeunes, des femmes, des hommes, il faut retrouver une CGT à l’offensive, une CGT qui s’assume, qui ne s’excuse pas quand elle passe à la télévision, ferme sur ses revendications”, expliquait-il à l’AFP début mars.

Il fait partie de ceux qui critiquent la participation de la CGT au collectif “Plus jamais ça” dont la vision risquerait de “condamner des filières entières” et prône plutôt une “socialisation des moyens de production”.

Quelle que soit la ligne qui l’emportera en fin de semaine lors de la désignation du successeur, et probablement de la successeure, de Philippe Martinez, les tensions risquent de perdurer au sein de la CGT. Une situation qui fait craindre le pire à ce dirigeant d’une fédération du syndicat cité par le JDD: “Toutes ces divisions avec une ambiance de caniveau, c’est du jamais-vu; on risque la scission, l’explosion et la désertion en masse”.



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