la « complexe » reconnaissance du cancer du sein comme maladie professionnelle



Lorsque Martine apprend en 2009 qu’elle est atteinte d’un cancer du sein, cette infirmière compte près de trente ans de métier dans les services de gynécologie puis de cardiologie du centre hospitalier régional (CHR) de Sarreguemines. En janvier dernier, sa maladie a été officiellement reconnue en tant que maladie professionnelle par la direction du CHR. « Une victoire et un soulagement » pour Brigitte Clément, secrétaire régionale de la CFDT des mineurs, qui a accompagné plusieurs femmes dans la reconnaissance de leur maladie.

L’impact du travail de nuit

Deux facteurs peuvent expliquer l’apparition de la maladie chez cette soignante, « l’exposition à des rayonnements et le travail de nuit ». En effet, l’infirmière a travaillé 873 nuits, soit l’équivalent d’une nuit par semaine. Dès 2007, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé la perturbation du cycle circadien, causé entre autres par le travail de nuit, comme « risque probable de cancer ».

Une autre étude de l’Inserm de 2012 indique que « le risque de cancer du sein était augmenté d’environ 30 % chez les femmes ayant travaillé de nuit par rapport aux autres femmes ». En cause : « L’exposition à la lumière durant la nuit supprime le pic nocturne de mélatonine et ses effets anti-cancérigènes. » Les troubles du sommeil, causé par le travail nocturne, peuvent également affaiblir le système immunitaire.

« Un processus complexe »

Dès lors, pourquoi ces reconnaissances, rares, commencent aujourd’hui à aboutir ? Cette procédure est « un processus complexe », reconnaît Me Rocheblave, avocat spécialisé dans le droit du travail et de la Sécurité sociale. Le cancer du sein ne fait ainsi pas partie du tableau de reconnaissance des maladies professionnelles, défini par la Sécurité sociale.

« Mais ce n’est pas parce qu’une maladie n’est pas dans le tableau qu’elle ne peut pas être reconnue », poursuit Me Rocheblave. Pour ce faire, le requérant doit réunir deux conditions : « D’une part, il faut que la maladie ait entraîné soit le décès, soit une incapacité permanente d’au moins 25 %, précise l’avocat. D’autre part, il faut rapporter la preuve qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail. »

C’est cette deuxième condition qui rend la démonstration ardue. « Dans le dossier, s’il y a un autre facteur de risque évident ou que vous avez une mère et une grand-mère qui ont eu un cancer du sein, cela peut fortement jouer en votre défaveur », analyse Giovanni Pere, sociologue à l’université Sorbonne Paris Nord et spécialiste de la reconnaissance de maladies professionnelles.

Large mobilisation syndicale

Dans le cas de Martine, l’infirmière a bénéficié d’une large mobilisation syndicale autour d’elle. Cette mobilisation fait suite aux alertes d’une ancienne aide-soignante mosellane, Josiane Clavelin, sur la multiplication des cas de cancer du sein chez le personnel soignant de l’hôpital de Sarreguemines. Une « petite équipe » composée de médecins, d’ingénieurs et de syndicalistes a été mise en place en 2018 par la section mineurs de la CFDT-mineurs mosellane « pour s’emparer de toute la littérature scientifique dans ce domaine », détaille Brigitte Clément.

Des questionnaires, à destination du personnel soignant des hôpitaux de Moselle et d’Alsace, ont été aussi distribués. Parmi les 750 réponses reçues, seule une poignée d’entre elles ont été retenues. « Nous avons uniquement conservé les réponses des personnes qui n’avaient aucun risque dû à leur alimentation, au tabac ou à leur surpoids, pour n’avoir plus que les facteurs professionnels », relate la responsable syndicale.

Le rôle fondamental des médecins du travail

Outre cette procédure « complexe » et ses moyens importants, « il faut également que les victimes aient connaissance du facteur de risque et que leurs maladies peuvent être liées à des expositions professionnelles », indique Giovanni Pere. « Généralement, les personnes atteintes d’un cancer du sein ne se posent pas cette question », abonde Me Rocheblave, qui a accompagné plusieurs dossiers de reconnaissance.

Dans ce contexte, les médecins du travail jouent un rôle fondamental : celui d’informer les patientes du lien potentiel entre leur maladie et leur activité professionnelle. Mais « il y a toute une éducation à repenser, regrette Brigitte Clément, de la CDFT. Il faut que les médecins s’emparent de toute cette littérature scientifique. » En attendant, la section mosellane doit encore mener sept dossiers comme celui de Martine à cette même reconnaissance.

Le tableau des maladies professionnelles

Le premier tableau des maladies professionnelles a été créé en 1919 et regroupe les « maladies professionnelles causées par le mercure et ses composés ». Au total, 102 maladies ont été établies depuis.

Ces tableaux servent à définir les critères pour bénéficier d’une prise en charge au titre de maladie professionnelle par le régime général ou agricole de la Sécurité sociale. Chaque tableau est accompagné d’un commentaire médico-technique, rédigé par un groupe d’experts.

Depuis un décret d’avril 2022, le cancer de la prostate est la dernière maladie à avoir rejoint les tableaux des maladies professionnelles. Il a été considéré comme pouvant être la conséquence de « travaux exposant habituellement aux pesticides ».



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