la neutralité ambiguë de la Géorgie
Avant de venir à l’aéroport, elle a relu toutes les lettres d’amour qu’il lui avait écrites quand il était petit. « Je suis un cœur sans armes », « j’avais un cœur, mais je te l’ai donné tout entier ». A 8 ans, Jamboulat Khopheria n’avait d’yeux que pour Lika Amashukeli. Dix-sept ans ont passé depuis. En cette nuit glaciale de décembre, à Tbilissi, la capitale de la Géorgie, la jeune femme fait partie des centaines personnes venues assister au rapatriement du corps de son ancien camarade de classe, tué en Ukraine, à 25 ans. Ce jeune Géorgien avait rejoint les rangs des volontaires pour combattre les Russes. « Il vivait là-bas depuis un an quand la guerre a commencé, explique Lika. Ses parents lui ont dit de revenir, mais il a refusé. Il disait qu’il ne pouvait pas laisser tomber ses amis. »
Aucun représentant officiel n’est présent : le gouvernement réprouve ces engagements volontaires, qu’il dit manipulés par l’opposition. « Ils ne voulaient même pas présenter de condoléances aux familles !, s’indigne Miko Metivichvili, 22 ans, qui tient le bout d’une immense banderole aux couleurs de l’Ukraine. Ces héros géorgiens qui combattent aux côtés des Ukrainiens sont le vrai visage de la Géorgie. Notre gouvernement ne nous représente pas. »
Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février, la population géorgienne, encore traumatisée par la guerre d’août 2008 avec la Russie, affiche une solidarité sans faille avec les Ukrainiens. Le conflit en Géorgie avait entériné la perte des provinces séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, soit 20 % du territoire, occupés depuis par Moscou. Aux yeux du peuple géorgien, la guerre en Ukraine est donc aussi la sienne, et la victoire ukrainienne impérative, sous peine d’être la « prochaine cible ».
La position des autorités de la Géorgie, ancienne république soviétique contrôlée dans l’ombre par l’oligarque multimilliardaire Bidzina Ivanichvili, fondateur du parti au pouvoir Rêve géorgien, est en revanche beaucoup plus ambiguë. Son homme lige, Irakli Garibachvili, qui dirige le gouvernement, a refusé de voter les sanctions occidentales contre Moscou, les jugeant « inutiles » et contraires aux « intérêts nationaux ». Moscou l’a félicité dans la foulée : « Bien joué. On ne peut que saluer une telle décision », s’est réjoui Vladimir Djabarov, premier vice-président du Comité international du Conseil de la Russie. De son côté, Volodymyr Zelensky a protesté en rappelant l’ambassadeur ukrainien de Tbilissi.
« Capitulation silencieuse »
Il vous reste 66.53% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.