« La prison française n’a de républicaine que le nom »
Depuis plus de trente ans, la République n’a eu de cesse de toujours plus incarcérer pour atteindre en ce mois d’octobre 2024 le triste record de 78 969 personnes détenues pour 62 000 places, dans une indifférence quasi totale. En réponse, Michel Barnier a annoncé, lors de son discours de politique générale, vouloir créer davantage de places de prison, s’inscrivant dans la même doxa qui a d’ores et déjà démontré son inefficacité.
L’histoire carcérale prouve que construire plus de places revient à plus incarcérer et non à mieux incarcérer. La preuve en est que depuis trente ans le parc pénitentiaire a presque doublé sans avoir le moindre impact sur le taux d’occupation.
Privation de liberté, déchéance de dignité
Cette surpopulation entraîne pourtant son lot de désolation, contraignant les personnes détenues à vivre dans des conditions les plus indignes, entassées dans des cellules étroites et insalubres, vivant au milieu des rats et des cafards, subissant l’arbitraire et la violence. Archaïsme d’un autre temps, coûteuse pour le contribuable, bafouant nos valeurs humanistes, inefficace dans ses fonctions essentielles, la prison française n’a de républicaine que le nom. À la privation de liberté des détenus, s’ajoute de facto la déchéance de leur dignité.
Idée, principe, exigence, la dignité a cependant été érigée comme une qualité inaliénable car inhérente à toute personne humaine. À travers la protection de la dignité est ainsi protégée la valeur absolue reconnue à la vie et à la qualité de la vie de tout individu. La protection de la dignité revêt la forme du droit pour toute personne de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants. Ce droit est absolu et ne saurait souffrir d’aucune restriction, d’aucune dérogation. Ainsi, nul ne peut être privé de sa dignité, y compris les personnes détenues, et quels que soient leurs méfaits passés. Il en va de l’essence même de nos démocraties libérales. Et, c’est bien là que le bât blesse.
La République a laissé se développer l’ensemble des circonstances pouvant permettre la qualification de conditions de détention inhumaines ou dégradantes. Cette situation a conduit les juridictions françaises et européennes à constater l’absence de conformité de l’état du droit français avec le droit de ne pas subir de traitements indignes.
Sortir des politiques pénales de plus en plus sécuritaires
Prenant acte de cette condamnation, le législateur français a créé en 2021 un nouveau recours devant le juge judiciaire pour tous les détenus soumis à des conditions indignes de détention. Il est désormais prévu que, dans l’hypothèse où le juge estimerait que les conditions auxquelles le détenu est exposé sont indignes, l’administration devra prendre les mesures appropriées pour y mettre fin.
Premier pas vers une amélioration, cette mesure ne peut suffire à elle seule à endiguer la spirale dans laquelle est pris l’État français. D’abord, la mise place d’un mécanisme de régulation carcérale qui interdit aux établissements pénitentiaires de dépasser un taux maximal d’occupation par la création d’un numerus clausus permettrait d’avoir la certitude de pouvoir accueillir dignement les personnes détenues et de pouvoir leur offrir les conditions de leur réinsertion dans la société.
La France doit surtout sortir de cet engrenage de politiques pénales de plus en plus sécuritaires. Chaque gouvernement allant de sa réforme du code pénal répétant à qui veut l’entendre que « la sécurité est la première des libertés ». De toute évidence, le gouvernement Barnier n’échappera pas à la tentation d’une surenchère pénale. Ce dernier a fait déjà part de son souhait de créer « des peines de prison courtes et immédiatement exécutées ». Plaidant pour la double peine, exprimant tant sa défiance à l’égard de l’État de droit que son envie d’engager une « rupture en matière de politique pénale » les sorties médiatiques du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau laissent craindre le pire.
Immobilisme et pensée court termiste
La prison souffre également de l’instantanéité de notre conversation publique, de visions politiques à court terme et des bas calculs électoraux. À cet égard, le député de l’ancienne majorité présidentielle Sacha Houlié avait affirmé que « l’opinion publique n’est pas prête à accepter que l’on incarcère moins », illustrant de façon idoine les raisons de cet immobilisme, malgré des solutions désormais bien connues.
Mais, quoi d’étonnant au regard d’une époque où la politique se réduit trop souvent à un art de la séduction plutôt qu’à une entreprise de conviction par la convocation du courage et de l’argumentation ? Le sujet de la dignité en détention mérite assurément davantage que d’être sacrifié sur l’autel de la compétition électorale. Faut-il y voir un optimisme déraisonnable ? Pourtant les inconvénients à court terme sur l’opinion publique, même chèrement payés, ne l’emporteront jamais sur les avantages à long terme de voir advenir une justice républicaine alliant dignité et humanité.