La puberté précoce, bouleversante et encore inexpliquée



Sept ans à peine, une bouille encore pouponne et déjà, les premiers contours d’un corps de femme qui se dessinent. «Je me suis interrogée quand j’ai senti que j’avais mal au niveau de la poitrine, se souvient Salomé, désormais âgée de 27 ans. En touchant, j’ai senti deux petites boules. Des petits seins. »

Une prise de sang et une radio du poignet pour définir son âge osseux permettront au médecin de confirmer ce qu’il pressentait : une puberté précoce. « Je n’en avais jamais entendu parler et mes parents non plus. Avec mes petites brassières, je me sentais un peu spéciale. À certains moments, j’étais un peu gênée, surtout à la piscine », se souvient l’étudiante en marketing digital à ­Montpellier.

En 2018, la première enquête épidémiologique de Santé publique France sur la puberté précoce dénombrait 1 173 nouveaux cas par an chez les filles et 117 chez les garçons. Des chiffres plutôt rassurants sur l’ampleur du phénomène. « Cette étude avait fait polémique car elle semblait montrer que certaines régions étaient plus touchées, rappelle le docteur Olivier Puel, président de l’Association française des pédiatres endocrinologues libéraux (Afpel). En réalité, l’enquête se basait sur les remboursements des médicaments et reflétait d’abord les habitudes des prescripteurs, plus ou moins interventionnistes en fonction des régions. »

Outre-atlantique, une étude parue en 2019 dans la revue Pediatrics estimait que 15 % des fillettes de 7 ans voyaient apparaître des poils pubiens ou un début de poitrine. Des changements qu’elles seraient 19 % à connaître à 8 ans. Certaines communautés apparaissent plus touchées, notamment les fillettes noires et hispaniques, en raison de facteurs génétiques mais aussi environnementaux, notamment le surpoids, plus présent dans les populations défavorisées.

En France, les chiffres n’ont plus été actualisés depuis 2018, mais on entend souvent dire que l’incidence augmente. « Il y a un recul global de l’âge de la puberté mais il est très difficile d’avoir des données exactes », constate le docteur Maxime Gérard, endocrinologue pédiatrique en libéral et à l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). « Il y a aussi une augmentation du nombre de gens qui consultent, du fait d’une meilleure information sur le sujet, ce qui biaise un peu les choses », soulève-t-il.

Pédiatre à Orléans, Fabienne Kochert ne constate pas d’ « explosion des cas ».« J’en ai un ou deux par an. Ce que je vois davantage en revanche, ce sont des filles avec des pubertés non pas précoces mais avancées, avec un développement mammaire entre 8 et 10 ans. » Les cas chez les garçons sont beaucoup plus rares. « Chez eux, la pathologie pubertaire la plus fréquente est le retard pubertaire et non la puberté précoce », explique la médecin.

Pour mieux cerner l’ampleur du phénomène, l’Afpel a lancé plusieurs études. L’une d’elles vise à documenter, à travers les données en vie réelle des cabinets de pédiatrie et de médecine générale, l’âge effectif de la puberté. « Avant, une petite fille qui avait ses règles en CM2, c’était rare. Aujourd’hui, il y en a une dans chaque école, observe Olivier Puel. Si l’on veut mesurer l’incidence de la puberté précoce, il faut d’abord que nous remettions à jour les bornes normales de développement. »

Autre point d’interrogation majeur : l’origine de ces modifications hormonales. Les premiers incriminés sont les perturbateurs endocriniens, présents dans les produits cosmétiques, les plastiques, les huiles essentielles, les peintures, certaines plantes comme le soja ou la lavande… Pour l’heure, Santé publique France ne fait que « suspecter » des liens avec ces substances. « Pour prouver qu’il y a bien une relation, il faudrait que nous soyons capables de croiser les cas de puberté précoce avec une cartographie des perturbateurs endocriniens, or c’est très compliqué à faire car ils sont partout », déplore Olivier Puel.

Pour le docteur Maxime Gérard, le problème de santé publique est dans l’exposition des plus jeunes à ces substances, « qui peuvent avoir d’autres effets plus embêtants que la puberté précoce, comme des malformations génitales, une baisse de la fertilité, des cancers… Un travail politique, économique et écologique doit donc être fait pour proposer un monde moins toxique à nos enfants », plaide-t-il. D’autres facteurs peuvent expliquer une puberté survenue avant l’heure.

« On sait qu’il y a une relation directe entre la surcharge pondérale et l’avance de la puberté, indique ­Olivier Puel. Des liens sont également possibles avec les écrans (dont la lumière bleue entraîne une inhibition de la sécrétion de la mélatonine, NDLR) », avance le pédiatre endocrinologue, qui évoque aussi la piste de la sédentarité, surgie après les confinements liés au Covid-19. « Peu après la pandémie, des chercheurs, italiens notamment, ont noté une hausse des cas de puberté précoce chez les jeunes filles, laissant penser que le manque d’activité physique serait en cause », rapporte-t-il.

Dans de très rares cas, la cause est organique. « Lorsqu’une puberté survient chez un petit garçon très jeune, on vérifie par une IRM qu’il n’y a pas un kyste ou une malformation qui impacterait la zone de l’hypophyse dans le cerveau (qui fabrique les hormones, NDLR) et pourrait expliquer ces changements », indique Olivier Puel, qui se veut toutefois rassurant. « Hormis les risques que la puberté précoce fait peser sur le pronostic de taille, cela n’a pas de conséquence sur la santé des enfants. »

D’autant que des traitements existent pour freiner leur puberté et leur permettre de grandir plus longtemps. « Il s’agit d’une piqûre à faire tous les mois ou trimestres », détaille le médecin, souvent confronté à la méfiance des parents, qui préfèrent parfois laisser « la nature faire ». « Les hormones, cela fait peur », constate Maxime Gérard, bien placé pour savoir qu’il s’agit d’un « sujet émotionnel » pour les familles. « Mais on a assez de recul aujourd’hui pour savoir que ces traitements ne sont pas dangereux et n’entraînent ni cancer ni baisse de la fertilité », assure-t-il.

Pour autant, la mise en place d’un traitement n’est pas systématique. « Parfois, on se contente de surveiller comment les choses évoluent, explique Olivier Puel. En fait, tout dépend de l’âge auquel surviennent les premiers signes et de la vitesse d’évolution. Cela doit se décider par le dialogue avec la famille et l’enfant car, au-delà de l’enjeu de la taille, se pose la question du retentissement social. »

Comment l’enfant vit-il cette transformation de son corps qu’il est souvent le seul à connaître parmi ses camarades ? « Le décalage entre la maturité affective de l’enfant et les changements qui s’opèrent dans son corps peut être déstabilisant, soulève Céline Bruntz, psychologue à Paris. Un changement de comportement peut alors alerter sur un éventuel mal-être. » Parfois, ce sont les parents qui ont le plus de mal à encaisser. « Au-delà de l’inquiétude pour la santé de leur enfant, c’est un peu comme s’ils perdaient leur bébé », analyse le docteur Puel. « Ils ont parfois l’impression que leur enfant a grandi trop vite et se sentent un peu dépossédés. Ils redoutent qu’une forme de distance se crée », complète Céline Bruntz, qui suggère d’en parler à leur fils ou leur fille avec des mots simples, en s’aidant par exemple de livres.

Neuf mois après le diagnostic de puberté précoce de sa fille, tout juste rentrée en CE1, Annabelle (1) digère encore la nouvelle. « Le choc a été d’autant plus grand que mon aînée de 14 ans, en pleine puberté, venait tout juste d’avoir ses règles. La petite qui rattrape la grande, je ne m’y attendais pas », confie cette trentenaire installée dans le sud de la France. Elle craignait surtout que sa fille subisse les moqueries à l’école. « Finalement, elle a continué à vivre sa vie de petite fille comme avant et n’a pas de complexe », se réjouit sa mère.

Mais ses questions demeurent. Pourquoi sa fille ? Pourquoi si tôt ? « En pratique, personne ne sait ce qui déclenche la puberté, on connaît juste quelques facteurs qui influencent, souligne Maxime ­Gérard. Cela reste mystérieux. »



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