« La répression s’intensifie » contre l’Église catholique au Nicaragua



Le pouvoir a bloqué en mai des comptes bancaires de paroisses et diocèses catholiques. Comment expliquer cette décision ?

Jules Girardet : Ces dernières années, il est fréquent de voir l’État nicaraguayen saisir des biens ou des immeubles des organisations, sous prétexte d’erreurs administratives. Les locaux des radios et des télévisions ou des universités ont d’abord été fermés, puis occupés par la police. Il en va de même pour les partenaires du CCFD, qui ont vu leurs centres d’éducation populaire saisis, puis occupés par l’État.

Pour les comptes bancaires, il s’agit du même procédé. Seulement, le motif pour geler les comptes de l’Église est différent. La police a annoncé le 19 mai avoir retrouvé des liasses de billets dans différents diocèses et accuse ces derniers d’être à la tête d’un réseau de blanchiment d’argent. En réalité, ces blocages font suite aux arrestations du père Jaime Iván Montesinos et de deux autres prêtres. Ces arrestations s’inscrivent plus généralement dans le cadre des différentes enquêtes et procédures juridiques en cours, notamment contre Mgr Rolando Alvarez, condamné à vingt-six ans de prison en février pour « conspiration et diffusion de fausses nouvelles ».

Quels sont les objectifs du gouvernement lorsqu’il bloque des comptes de l’Église catholique ?

J. G. : C’est assez incompréhensible. Au départ, l’idée de la vengeance et l’accusation de terrorisme guidaient le régime qui cherchait à punir l’Église. Elle a été, depuis 2018, porte-parole des contestations sociales au Nicaragua. Aujourd’hui, la résistance est bâillonnée par la surveillance et la répression. Beaucoup de voix discordantes ont quitté le pays. Or, dans un pays de six millions d’habitants, l’exil massif n’est pas anodin, d’autant que les catholiques représentent près de 60 % de la population. Geler les comptes de l’Église va bien au-delà de la conférence épiscopale. Cela signifie couper les vivres des organisations catholiques et notamment la rémunération de tous les professeurs des écoles et des collèges catholiques. Un nouveau palier a donc été franchi dans la répression puisqu’il s’agit de fermer, au moins d’un point de vue institutionnel, tout ce qui a trait de près ou de loin à l’Église catholique. Je ne sais pas jusqu’où ça va aller, parce qu’il n’y a plus grand monde à réprimer…

Comment la résistance de l’Église se poursuit-elle ?

J. G. : Il existe une tension entre ceux qui, au Nicaragua, vivent sous la menace d’être incarcérés et ceux qui sont en exil au Vatican, ou ailleurs, et qui dénoncent le régime. Jusqu’en mars, les discours du pape avaient toujours été très précautionneux. Il cherchait le dialogue, même lorsque, à l’été 2022, le président Daniel ­Ortega et son épouse, la vice-présidente, ­Rosario Murillo, qualifiaient l’Église de « dictature », de « tyrannie parfaite », et que Mgr Rolando Alvarez était placé en résidence surveillée. Il me semble qu’il s’agissait de protéger la conférence épiscopale, ainsi que les religieux et religieuses sur place. En mars, la déclaration du pape qualifiant le régime d’Ortega de « dictature grossière » a été un réel changement qui a mené à une décision inédite. Si le nonce apostolique avait déjà été renvoyé il y a un an, la nonciature du Nicaragua a tout simplement été fermée. Il n’y a donc plus de représentation du Saint-Siège et ainsi plus de dialogue.

Dans le même temps, les persécutions continuent : le 30 mai, une nouvelle congrégation religieuse, les sœurs de la Congrégation des Hijas de Santa Luisa de Marillacqui, a été expulsée de ses locaux. Finalement, pour résister, les catholiques ont le choix entre partir en exil – au Costa Rica, aux États-Unis ou en Europe –, pour documenter la violation des droits humains, et résister de l’intérieur, en lien avec des organisations souterraines, discrètes, dans un régime de surveillance organisée totalitaire.



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