la Suède, longtemps considérée comme terre d’accueil, ferme ses portes aux migrants
Le gouvernement dirigé par les conservateurs alliés à l’extrême droite vient d’annoncer la mise en place d’une aide au retour à hauteur de 30 000 euros.
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Le métro nous emmène du centre-ville de Stockholm à Rinkeby, un quartier multiculturel de la banlieue nord de la capitale. Emil Eneblad, le porte-parole des Jeunes démocrates de Suède, un parti d’extrême droite anti-immigration, veut nous montrer cette zone, “défigurée”, selon lui, par “la migration de masse” : “Regardez ! Vous avez un centre culturel islamique, vous avez de l’arabe sur les façades.”
Son parti allié au gouvernement conservateur est à l’origine de la proposition d’aide au retour des migrants d’un montant de 30 000 euros. Qui peut y prétendre ? Les contours du texte sont encore flous, reconnaissent les parlementaires, mais la mesure, prévue pour 2026, vise les migrants installés depuis des années en Suède, tels que des Syriens, des Irakiens, des Afghans, qui vivent là avec un titre de séjour provisoire.
“Si vous êtes arrivé ici ces dix dernières années, et que vous ne voulez pas faire partie de notre société, alors cet argent est pour vous, précise Emil Eneblad. C’est très généreux, et c’est beaucoup d’argent pour des gens qui retournent en Irak ou en Syrie, bâtir une nouvelle vie, monter une affaire…”. Et il prévient : “Si vous prenez cet argent, alors, il vous sera impossible de revenir en Suède.”
À l’image des propositions de son parti, aujourd’hui, les Suédois réclament un contrôle plus strict de l’immigration. En 2015, ce pays de dix millions d’habitants a accueilli à bras ouverts plus de 163 000 demandeurs d’asile, soit trois fois plus que d’habitude. C’est, de loin, le nombre le plus élevé par habitant en Europe. Or, les autorités ont été submergées. Par ailleurs, depuis quelques années, le pays affronte une très forte hausse de la criminalité, avec une guerre des gangs qui a fait plus de 53 morts et 363 fusillades en 2023.
L’extrême droite dépasse aujourd’hui les 20% de votes en Suède. “Notre politique d’intégration a échoué”, analyse une femme, que nous rencontrons dans les rues du centre-ville de Stockholm. “Trop de gens sont venus chez nous, on a ouvert nos frontières sans restriction… Et maintenant, il faut qu’on fasse quelque chose, car tout va dans le mauvais sens, poursuit-elle. On a des fusillades, des gangs, des bandes criminelles. Ça coûte très cher à la société.”
Une allocation de 800 euros existe déjà pour l’aide au retour des migrants, mais “personne ne l’utilise” expliquait, lors d’une conférence de presse le 12 septembre dernier, le porte-parole des Démocrates de Suède sur les questions migratoires, Ludvig Aspling. Selon ce parlementaire, en augmentant le montant à 30 000 euros, plus de migrants y auront recours. Un rapport d’enquête commandé par le gouvernement et rendu public en août a pourtant déconseillé d’augmenter substantiellement cette allocation, la jugeant peu efficace au regard de son coût.
Quant aux migrants que nous avons rencontrés, la plupart assurent qu’ils refuseront la proposition. À l’instar d’Abuzar, un étudiant afghan de 26 ans arrivé en 2015 à Stockholm. Son titre de séjour d’une durée de trois ans expire en novembre 2025 et doit donc refaire une demande. “J’ai peur que l’agence pour la migration ne reconduise pas mon titre de séjour. Ils ne veulent pas de nous”, se désole-t-il, rappelant qu’il est installé depuis neuf ans sur le territoire. Le jeune homme le dit sans hésitation, il refusera catégoriquement de rentrer en Afghanistan, même pour 30 000 euros : “La situation est trop dangereuse avec les Talibans qui ont pris le pouvoir. Et on a toute notre vie ici, on a appris le suédois, on a étudié ici, on veut avoir la chance de rester !”
“On est venu d’Afghanistan non pas parce qu’on a besoin d’argent : on est venu chercher un lieu où on peut vivre. Je ne pense pas qu’on trouve quelqu’un qui accepte l’argent en échange de mourir.”
Abuzar, étudiant afghanà franceinfo
Pour George Joseph, avocat et directeur du centre Caritas en Suède, “le gouvernement a réussi à introduire une politique d’immigration très stricte. Avant, on offrait des titres de séjour permanent, quand, aujourd’hui, ils sont tous temporaires. Il y a aussi des restrictions pour le regroupement familial. Par exemple, il faut avoir un très grand appartement et des revenus suffisants et conséquents. Ça envoie un signal très fort aux migrants : ne choisissez pas la Suède.”
Cet été, les autorités ont annoncé – avec fierté – que, pour la première fois depuis 50 ans, en Suède, plus de migrants quittent le pays qu’ils n’en arrivent. Les demandes d’asile ont en effet atteint leur niveau le plus bas depuis 1997.