L’archevêque de Strasbourg Luc Ravel écarte son évêque auxiliaire Christian Kratz



Jamais la tension n’avait atteint ce niveau dans le diocèse de Strasbourg. Le 23 mars, Mgr Luc Ravel a écarté de toute responsabilité un des deux évêques auxiliaires, chargés de l’assister dans la gouvernance du diocèse, révèlent les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) dans leur édition du 4 avril. Âgé de 70 ans, ordonné évêque auxiliaire en 2001, Mgr Kratz s’est vu retirer sa charge de vicaire général pour n’être plus que vicaire épiscopal. Jeudi 30 mars, Mgr Ravel a confirmé son exclusion du conseil épiscopal.

Responsabilités

Joint par La Croix, Mgr Christian Kratz révèle avoir appris cette décision par le biais d’un courrier glissé sous sa porte. Une sanction que l’archevêque justifierait par la mauvaise gestion du cas de l’ancien aumônier du collège épiscopal Saint-Étienne, Emmanuel Walch. Celui-ci s’est suicidé le 1er janvier dernier à la suite de la plainte pour viol déposée en juillet 2022 par une ancienne élève pour des faits remontant à 2008.

L’archevêque avait réagi à la mort de cet ancien prêtre dans un communiqué publié le 9 janvier dernier : « Si l’action publique pénale est éteinte, il n’en reste pas moins à établir certaines responsabilités pénales au plan de la Justice française comme au plan de la Justice de l’Église », expliquait Mgr Ravel, s’étonnant de la « soudaine mutation » du père Walch en 2009 comme curé en charge de jeunes dans ses missions, alors qu’il était mis en cause auparavant pour détention d’images pédopornographiques.

En 2013, formellement mis en cause par la justice pénale le père Walch avait été condamné à six mois de prison avec sursis puis renvoyé de l’état clérical l’année suivante par décision de Mgr Grallet. Interrogé sur l’absence de signalement à la justice civile avant 2013, Mgr Kratz dit s’en être remis à l’autorité de l’archevêque de l’époque. « Je suis abasourdi, je ne comprends pas ce que l’archevêque me reproche. C’est invraisemblable, réagit-il. Je ne sais pas quels comptes il veut régler avec moi, mais ça ne tient pas la route. »

Pour le père Bernard Xibaut, chancelier du diocèse, la décision de Mgr Ravel s’explique par « la volonté de rappeler les procédures en matière de non-dénonciation des abus sexuels au sein de l’Église », et d’en tirer toutes les conséquences.

Diocèse concordataire

L’évêque auxiliaire s’est résolu à ne pas assister à la messe chrismale ce mardi 4 avril au soir, attendant une explication avec l’archevêque qu’il n’a pas revu depuis son éviction. Mgr Kratz a également alerté le nonce apostolique, sans qu’il y ait pour l’instant de réaction officielle. « Il est temps pour le diocèse que la situation s’éclaircisse », soupire-t-il, alors que ces démêlés au plus haut sommet de la curie diocésaine s’ajoutent au malaise qui paralyse l’Église d’Alsace depuis plusieurs mois.

« Le diocèse est à l’arrêt », confie un prêtre sous couvert d’anonymat. Un constat largement partagé depuis la visite apostolique demandée par le pape François en juin 2022, sorte d’inspection portant sur « le gouvernement pastoral » du diocèse, autrement dit sur la manière dont Mgr Ravel dirige l’Église d’Alsace. Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise, et Mgr Joël Mercier, secrétaire émérite du dicastère (ministère) pour le clergé au Vatican, ont enquêté l’été dernier et déposé à Rome leurs conclusions à l’automne. Depuis, le diocèse est dans l’attente d’une réponse du Vatican.

Le sujet est d’autant plus délicat que ce diocèse est concordataire. Inclus dans le territoire allemand à l’heure de la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905, l’Alsace, tout comme la Moselle, sont toujours sous l’application du concordat signé par Napoléon. Les prêtres y sont payés par l’État, et la nomination de l’archevêque du ressort conjoint du Vatican et de la présidence de la République.

Sollicité par La Croix, l’archevêque de Strasbourg n’a pas donné suite, « retenu par les rencontres avec les prêtres et séminaristes précédant la messe chrismale », fait-on savoir à l’archevêché. Nommé à Strasbourg en février 2017, Luc Ravel avait manifesté de grandes ambitions pour son diocèse après avoir été, pendant huit ans, évêque aux armées. Mais la greffe semble avoir eu du mal à prendre, à en croire une partie du clergé local : l’évêque ne prendrait pas le temps de rencontrer ceux qui lui demandent rendez-vous, semblerait s’entourer d’une garde rapprochée et ferait preuve de rudesse. Certains lui reprochent aussi d’être souvent à Paris, peu disponible, alors qu’il a été élu en décembre 2022 à l’Académie des sciences morales et politiques.

Absent lors de la dernière Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes fin mars, pour raisons médicales, Mgr Ravel avait déjà annulé la conférence et dédicace de son dernier livre Le « care » chrétien ou la révolution de l’amour (1) qu’organisait le 1er mars la librairie Kléber, haut lieu de la culture à Strasbourg.

Management

Réputé difficile, le diocèse est fort de quelque 500 prêtres et 250 salariés. Une véritable entreprise, dépourvue de service de ressources humaines, et dont l’économe diocésain, Jacques Bourrier, a été licencié par l’évêque en mai 2022, à quelques semaines seulement de son départ à la retraite. L’ancien officier de marine dénonce aujourd’hui « une absence totale de management ». Certains le défendent, d’autres l’accablent. La visite apostolique constitue « une gifle », estime un prêtre, alors même que Mgr Ravel, dans un communiqué espérait que « notre magnifique Église d’Alsace en ressorte paisible. » Les rumeurs d’un départ imminent se multiplient. « Son absence à Lourdes était symptomatique », confie un évêque observateur lointain, espérant tout de même pour cet important diocèse un « dénouement rapide ».



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