le changement dans le désespoir


Une large majorité d’Argentins, lassés par l’impuissance des gouvernements successifs à redresser une économie en ruine et remontés contre la déconnexion des élites du pays, a choisi, dimanche 19 novembre, de faire un saut dans l’inconnu en portant au pouvoir Javier Milei. Cet économiste sans expérience politique, chantre d’un libéralisme radical et caricatural, qui compare la monnaie nationale à un « excrément », a rassemblé 55,7 % des voix, battant avec une confortable avance le candidat péroniste de centre gauche, Sergio Massa. L’Argentine a ainsi voté pour le changement, malgré les contradictions et les outrances de celui qui le porte et quels que soient les risques que ce choix implique.

L’élection ne s’est pas jouée sur un vote d’adhésion à un programme cohérent et rationnel. Javier Milei en est dépourvu. Sur le plan économique, il prône la suppression de la banque centrale, le remplacement du peso par le dollar et veut diminuer la dépense publique à hauteur de 15 % du produit intérieur brut. Au-delà de ce « plan tronçonneuse », comme il l’a baptisé, qui risque de s’appliquer au détriment des couches de la population les moins favorisées, il souhaite revenir sur le droit à l’avortement, affiche fièrement son climatoscepticisme et assume son révisionnisme sur la dictature argentine.

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Les Argentins ne semblent ni dupes ni s’être soudainement et massivement convertis au libertarianisme. De façon plus prosaïque, les excès et les provocations de Javier Milei ont su trouver une résonance auprès d’une population désabusée, qui a fini par se laisser convaincre que seul le dégagisme pourrait sortir le pays de l’ornière. Plus qu’une orientation politique et idéologique, ce vote traduit surtout le désespoir de l’Argentine.

Une distraction démagogique

Après le grand défouloir qu’a constitué l’élection, les lendemains risquent néanmoins de déchanter. La substitution du peso par le dollar est une solution en trompe-l’œil. Faute de pouvoir dévaluer sa monnaie en cas de choc extérieur, le pays n’aura d’autre moyen pour restaurer sa compétitivité que de baisser les prix et les salaires, ce qui ne fera qu’amplifier les crises. Quand bien même l’idée serait retenue, il est peu probable que l’Argentine puisse la mettre en œuvre. La banque centrale n’a pas les réserves en dollars suffisantes et le pays, qui a fait neuf fois défaut, ne peut pas emprunter sur les marchés internationaux.

Au-delà de cette mesure phare, le programme de Javier Milei paraît truffé d’incohérences. Il s’engage ainsi à diminuer drastiquement les subventions énergétiques en promettant que le pouvoir d’achat des Argentins sera préservé. Le nouveau président veut aussi réduire la taille du gouvernement, tout en proposant de réaffecter les fonctionnaires dans d’autres secteurs, sans préciser d’où viendront les économies annoncées.

L’incertitude qui entoure la victoire de Javier Milei est d’autant plus grande que le président élu n’a ni équipe expérimentée ni majorité au Congrès pour gouverner. Son mouvement, La Libertad Avanza, créé autour de sa personnalité, ne dirige aucune des vingt-quatre régions du pays (Buenos Aires y compris) et devra nouer des alliances au Sénat et à la chambre basse pour espérer appliquer tout ou partie de son programme. Ce qui est loin d’être acquis. L’Argentine éprouvait un besoin de changement, elle a opté pour une distraction démagogique qui ne fera qu’amplifier ses difficultés en lui faisant perdre un temps précieux pour amorcer son redressement.

Le Monde



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