Le difficile dialogue entre les familles et l’éducation nationale
C’est un courrier qui suscite l’indignation générale. À commencer, bien sûr, par celle des parents du jeune Nicolas qui a mis fin à ses jours, le 5 septembre, à Poissy, après s’être plaint de harcèlement. « Nous avons été outrés et effarés de recevoir de telles lettres », a déclaré la mère du lycéen à l’AFP. Dans un courrier envoyé en mai, le rectorat de Versailles jugeait « inacceptables » les propos des parents qui auraient « remis en cause » l’attitude des personnels de l’établissement de leur fils. Évoquant un « supposé harcèlement », il enjoignait au couple d’adopter une « attitude constructive et respectueuse » à l’égard de l’institution et lui rappelait les risques pénaux d’une dénonciation calomnieuse. À l’origine, les parents avaient contacté le rectorat en l’absence de réponse de la part de l’établissement, quinze jours après leur signalement.
Le ton de la missive a suscité de vives réactions au gouvernement. Élisabeth Borne l’a qualifié de « choquant » et Gabriel Attal de « honte ». Mais au-delà de l’émotion qu’il provoque, ce courrier pose question : est-il une exception ou le révélateur d’un rapport de force plus profond entre les familles et l’éducation nationale quand celle-ci est remise en cause ? Il n’étonne pas, en tout cas, la juriste Michèle Créoff : « Tout le monde s’en offusque, à juste titre, mais ce genre de lettre où les parents se font taper sur les doigts parce qu’ils revendiquent quelque chose à dire sur la protection de leur enfant dans le cadre de l’institution est fréquent », souligne-t-elle.
Pour l’ancienne vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), « protéger les siens » est un réflexe de toute administration, notamment celles qui accueillent des enfants. « Qu’il s’agisse de l’éducation nationale ou même des clubs de loisirs, ces structures sont sur la défensive par rapport aux parents, vus comme des personnes intrusives qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas », analyse-t-elle. Une telle défiance existait aussi dans un tout autre contexte, les affaires de violences sexuelles sur mineurs, rappelle-t-elle. Il a fallu attendre la circulaire de Ségolène Royal pour que l’éducation nationale écarte systématiquement le mis en cause, le temps de l’enquête, faisant primer la parole de l’enfant.
Nora Tirane Fraisse, présidente de l’association Marion la main tendue, constate aussi des dysfonctionnements, même si les courriers qu’elle voit passer « ne sont pas aussi virulents ». « Là, le rectorat menace carrément de porter plainte contre des parents qui se plaignent que l’établissement de leur enfant n’agit pas assez vite pour arrêter le harcèlement, ce n’est pas normal », s’indigne-t-elle.
Très investie dans la lutte contre ce fléau, cette mère, dont la fille s’est également suicidée parce qu’elle était harcelée, s’interroge sur le fond de la réponse de l’administration. « D’après les courriers, le programme de lutte contre le harcèlement pHARe, qui suppose une réaction dans les 48 heures après le signalement, n’a pas été mis en place.Quinze jours sans réponse, ce sont des dizaines d’heures avec les bourreaux. » La spécialiste pointe également la situation particulière de l’académie de Versailles, « la plus grande et la mieux dotée » qui aurait dû « être exemplaire » après tous les drames qu’elle a connus. « Il y a eu le décès de ma fille Marion, celui d’Evaëlle et de Samuel Paty. Sans oublier que cette académie a fait partie des académies pilotes pour le programme pHARe. »
Elle se demande, en outre, ce que deviennent les harceleurs. Une question à laquelle la mère de Nicolas, elle-même, n’a pas de réponse « Nous ne savons toujours pas si une sanction même symbolique a été émise à leur encontre ». Les parents attendent « les résultats des enquêtes et des actions du gouvernement » avant de décider s’ils portent plainte. Lundi, Gabriel Attal a réuni tous les recteurs « pour un audit sur les situations de harcèlement signalées sur l’année passée ».