Le gouvernement d’extrême droite en Israël, “une épreuve pour la démocratie”



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En Israël, la procureure générale a exprimé ses inquiétudes pour le futur de la démocratie, alors qu’un gouvernement issu d’une coalition d’extrême droite a été formé mercredi soir. En ligne de mire, les projets de loi portés par cette coalition, la plus à droite de l’histoire d’Israël.

Une démocratie qui n’en a que le nom, pas l’essence.” C’est ainsi que la procureure générale Gali Baharav-Miara a formulé ses craintes concernant l’avenir politique d’Israël, si les projets de loi de la coalition au pouvoir sont adoptés. Un nouveau gouvernement a en effet été formé, mercredi 21 décembre, par le Premier ministre Benjamin Netanyahu. Sa composition n’a pas encore été précisée mais il devrait être le plus à droite de l’histoire d’Israël, à l’image de la coalition dont il est issu. Celle-ci rassemble trois formations d’extrême droite, deux partis ultraorthodoxes et le Likoud de Benjamin Netanyahu.

Dans le viseur de la procureure générale, une réforme de la Haute cour de justice, l’équivalent du Conseil constitutionnel en France. Cette instance, responsable des contentieux entre les citoyens et l’État, est également chargée de vérifier la conformité des lois avec les lois fondamentales israéliennes, et donc de garantir l’État de droit. Mais le nouveau gouvernement a indiqué vouloir permettre au Parlement de voter à nouveau les lois retoquées par la Haute cour de justice, vidant ainsi le mécanisme de toute sa substance.

“Sans contrôle judiciaire et sans avis juridique indépendant, nous nous retrouverons avec le seul principe de la règle de la majorité, et rien d’autre”, a ainsi dénoncé la procureure générale, dans un coup de sang exceptionnel de la part de cette juriste nommée en février par le gouvernement de Naftali Bennett – par ailleurs première femme à occuper ce poste très important.

“Les projets de cette coalition inquiètent beaucoup car les vainqueurs des dernières élections veulent mettre en cause des équilibres qui tiennent à la structure même de la démocratie israélienne”, observe Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’Université ouverte d’Israël. “S’ils sont menés à bien, Israël pourrait devenir une démocratie formelle ayant perdu son essence et ses contre-pouvoirs. En autorisant le Parlement à revoter des lois annulées par la Haute cour de justice, le gouvernement veut la priver de son pouvoir de contrôle et s’affranchir de toute contrainte.”

“Pompier pyromane”

La procureure générale a également dénoncé la volonté du gouvernement de modifier une loi interdisant la nomination à un poste ministériel d’une personne condamnée à une peine de prison. Une réforme sur mesure qui pourrait profiter à Arié Dery, le leader du parti ultraorthodoxe Shass, condamné à de la prison avec sursis pour fraude fiscale.

“Il s’agit d’une loi opportuniste, qu’ils veulent faire passer uniquement pour le nommer ministre”, pointe Elizabeth Sheppard Selam, maîtresse de conférences à l’université de Tours et spécialiste de la politique israélienne. “Cela ne se fait pas, on ne fait pas des lois personnalisées dans un État de droit.”

Itamar Ben-Gvir, leader du parti d’ultradroite Force juive (Otzma Yehudit), et pressenti pour devenir ministre de la Sécurité nationale, a enfin affirmé vouloir exercer un contrôle direct sur les forces de l’ordre. Une façon de “politiser la police”, pointée du doigt par la procureure générale, qui risque selon elle de porter un “coup sérieux aux principes les plus fondamentaux de l’État de droit, c’est-à-dire l’égalité, l’absence d’arbitraire et l’impartialité”.

Le projet de loi placerait de fait la police sous le contrôle direct d’Itamar Ben-Gvir, condamné à plusieurs reprises pour appels à la violence et à la haine. Il bénéficierait alors d’un pouvoir discrétionnaire sur la nomination des hauts officiers, d’un droit de regard sur la police des frontières – une unité largement déployée à Jérusalem-Est et en Cisjordanie occupée –, et serait également responsable du maintien de l’ordre sur l’esplanade des Mosquées. Une perspective qui ne manque pas d’inquiéter nombre d’observateurs, alors qu’Itamar Ben-Gvir réclame l’assouplissement des règles d’ouverture du feu pour la police et l’armée.

“Itamar Ben-Gvir est issu de l’ultradroite et on craint qu’il ne se mêle directement du travail de la police”, explique Denis Charbit. “Il risque de jouer au pompier pyromane et d’exacerber les tensions entre les communautés, alors qu’elles sont déjà très vives en Israël. On parle de quelqu’un qui a été condamné pour incitation à la violence et au terrorisme, d’un fou furieux, à qui on va confier un poste extrêmement important.”

Risque de rupture avec la diaspora

Un tel virage de l’État hébreu risquerait aussi de compliquer ses relations avec sa diaspora, notamment aux États-Unis.

“Si Bibi change la nature de la démocratie en Israël, il changera la nature du soutien des États-Unis et de la communauté juive américaine à Israël”, a ainsi alerté l’avocat et militant américain Abraham Foxman. Le chef de la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines, William Daroff, s’est quant à lui déclaré “très préoccupé”.

“Le programme du nouveau gouvernement ressemble à celui d’Éric Zemmour en France”, remarque Elizabeth Sheppard Selam. “Ce sont des personnalités très clivantes, à un point tel que les diasporas, spécialement aux États-Unis, se sentent exclues. Un fossé se crée entre les religieux israéliens et les Juifs-Américains, qui sont plus progressistes. C’est mauvais pour Israël, car sa diaspora est un soutien financier et politique précieux à l’étranger, et ce n’est pas bon non plus pour la diaspora de se déconnecter de ses racines.”

Mais la radicalité des projets de loi est telle qu’il n’est pas sûr qu’ils soient finalement adoptés. “Netanyahu prendra soin de calmer le jeu”, espère Denis Charbit. “Certes, il risque d’avoir du mal à tenir en main la coalition, les inquiétudes de la procureure générale sont loin d’être infondées. Mais nous sommes assis sur un baril de poudre, et si certains veulent que cela pète, ce n’est pas le cas de Netanyahu, il n’est pas là pour le chaos. Il a de l’expérience, et des protestations peuvent aussi éclater à l’intérieur d’Israël et à l’étranger. C’est une épreuve pour la démocratie israélienne, il faut voir quelle ligne finit par l’emporter.”

La politique du prochain gouvernement israélien sera vraisemblablement déterminée par l’équilibre des forces qui se mettra en place au sein de la majorité gouvernementale – 32 députés pour le Likoud, 18 pour les ultraorthodoxes et 14 pour l’extrême droite – et par le poids que le Premier ministre parviendra à peser. Expérimenté, mais fragilisé par son procès en cours pour corruption, Benjamin Netanyahu pourrait ainsi être poussé à céder face aux demandes des franges les plus radicales de sa coalition… À moins de parvenir à s’imposer, une fois de plus, comme il le fait depuis bientôt quinze ans.



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