le retour en puissance de l’Inde contre la Chine



Leur chantier est une mer aux eaux turquoise. À la pointe de l’île artificielle de Thilafushi, des ouvriers indiens s’activent, entre tracteurs et grues. Ils feront bientôt surgir un pont monumental, projet de 530 millions de dollars financé et construit par l’Inde. Sur sept kilomètres, il reliera trois îles en construction, jusqu’à Malé, la capitale congestionnée.

Un archipel sur deux routes maritimes majeures

Il s’agit du plus grand projet d’infrastructure des Maldives et le trophée de la course à laquelle se livre l’Inde pour éclipser la présence chinoise. Car les deux géants asiatiques convoitent l’importance stratégique de cette nation de l’océan Indien. Avec ses mille îles paradisiaques, dont 132 sont réservées au tourisme de luxe et 200 peuplées par ses 520 000 habitants, les Maldives sont sur deux routes maritimes importantes. Pour la Chine, l’archipel s’intègre à son projet d’une nouvelle route de la soie. Pour l’Inde, Malé est l’allié historique, qui joue un rôle incontournable dans son commerce maritime et dans la stratégie de l’Indo-Pacifique.

Écartelée, la république islamique a modifié ses allégeances au rythme de ses dirigeants. Après le charismatique Mohamed Nasheed qui privilégie l’amitié avec l’Inde dès 2008, son successeur, Abdulla Yameen, amorce en 2013 un virage spectaculaire vers la Chine, qui multiplie les investissements. Cette présence fait planer le « piège de la dette », qui va atteindre de 1,1 à 3,3 milliards de dollars. Au gré d’accords opaques, des îles et lagons sont concédés aux entreprises chinoises qui modernisent l’archipel. Sur l’île artificielle de Hulhumalé, la Chine apporte sa patte : la phase 2 en cours de la ville est défigurée par 16 tours de 25 étages.

Le « pont de l’amitié »

Surtout, les Maldives doivent à Pékin le « pont de l’Amitié », le premier pont interinsulaire, reliant Hulhumalé à Malé. S’il est en passe d’être supplanté en longueur par le pont indien, il a changé la vie des Maldiviens, qui ont troqué les bateaux pour des voitures. Inauguré en 2018, l’ouvrage devait assurer la réélection d’Abdulla Yameen. Mais ce dernier a perdu le scrutin et été condamné pour corruption. Et le nouveau président, Mohamed Solih, réaffirme la politique de « l’Inde d’abord ».

Investissements, aides, constructions, New Delhi passe à la vitesse supérieure et reprend la main. Ses touristes surpassent désormais le nombre de visiteurs chinois. Pour l’Inde, cette montée en puissance était impérative face à la Chine, et se déroule sous les bons auspices du camp de l’Indo-Pacifique. Selon N. Sathiya Moorthy, analyste à l’Observer Research Foundation en Inde, les Maldives ont réussi à adopter « une approche équilibrée », « sans heurter leurs autres relations, y compris avec la Chine ».

Une dette croissante à l’égard de l’Inde

Mais le domaine de la coopération militaire soulève la fureur de l’opposition. Selon un accord signé en 2009, l’Inde a déployé deux hélicoptères, puis un avion de surveillance, avec techniciens et soldats dans l’archipel. New Delhi est soupçonné de vouloir installer une base militaire à Uthuru Thila Falhu, près de Malé. En signe de contestation, a émergé le mouvement « India Out », qui l’accuse de nuire à la souveraineté du pays.

« Notre dette croissante à l’égard de l’Inde est un autre point préoccupant, estime le journaliste Ahmed Azaan Marzooq, dans les bureaux de The Maldives Journal. Plus encore alors que le gouvernement refuse de reconnaître le risque d’endettement. » L’Inde dépasse désormais la Chine au premier rang des bailleurs bilatéraux. D’après le FMI, la trajectoire des dépenses semble incontrôlable et les réserves chutent. « Les Maldives sont dans une situation économique fragile, qui les rapproche petit à petit de l’expérience du Sri Lanka et du Pakistan », note N. Sathiya Moorthy.

À la veille du scrutin présidentiel du 9 septembre, la guerre froide entre l’Inde et la Chine s’intensifie. « La course présidentielle annonce non seulement une bataille entre deux candidats rivaux, prédit Ahmed Azaan Marzooq, mais aussi entre deux puissances géopolitiques. »



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