« Le roman graphique doit amener avec facilité des sujets d’une grande complexité »



« En l’espace de trente ans, j’ai assisté à un boom extraordinaire de la bande dessinée. À la fin des années 1980, les BD étaient encore des séries, dont les planches étaient prépubliées dans les revues à destination des enfants avant d’être compilées dans des albums de 48 pages. Lorsque ce marché s’est réduit, dans les années 1990, c’est comme si la bande dessinée avait pris une immense respiration. Progressivement, elle a fait sa révolution.

Le roman graphique est directement issu de cette libération de carcans limitants. Plus de places, plus de diversité de sujets, un public plus vaste et plus divers… Elle a pu alors emprunter des chemins qu’elle n’avait jamais explorés, comme l’autobiographie, l’histoire, l’adaptation de romans littéraires. On a constaté chez les auteurs une volonté de développer des récits plus adultes, plus compliqués, et surtout plus longs – jusqu’à 300 pages.

De ces ouvrages qui ne sont en fait rien de plus que de longues BD, les lecteurs attendent qu’ils amènent avec facilité des sujets d’une grande complexité. Le Choix du chômage (1) de Benoît Collombat et Damien Cuvillier, par exemple, a rencontré un très grand succès en abordant un sujet difficile avec simplicité et rigueur.

L’empathie du dessin

La bande dessinée a désormais cette capacité à informer sans être indigeste. Le dessin rend cela possible, parce qu’il porte une véritable empathie. Il peut retranscrire magnifiquement, sans artifices, le lien créé lors de rencontres. Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso l’ont fait avec beaucoup de talent dans À bord de l’Aquarius (2), ouvrage qu’ils ont réalisé après avoir embarqué à bord d’un bateau de SOS Méditerranée. Le résultat est aussi dur qu’il est doux.

Le texte qui accompagne le dessin, court et percutant, doit s’imbriquer complètement avec lui et le compléter. Il faut trouver des manières de dire par le dessin ce qu’on n’a pas la place de mettre dans les bulles. Les informations sont alors disséminées entre les deux, sans qu’il y ait de rupture.

Ça permet au roman graphique de toucher un public extrêmement varié, du très jeune adulte au grand-parent. Certains y arrivent par le sujet, d’autres par l’auteur. Ils peuvent être amateurs de BD depuis toujours, comme l’avoir abandonnée au sortir de l’enfance. J’ai ainsi rencontré, à l’occasion de signatures de mon adaptation graphique du livre de Sorj Chalandon, Profession du père (3), des fans du roman ravis de pouvoir offrir cette version à des proches que la littérature ne séduit pas. La force du roman graphique c’est de construire un pont pour les faire se rejoindre au milieu, autour d’une belle narration. C’est formidable, pas vrai ? »



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