« Les professeurs mettent en œuvre une dizaine de stratégies sur les sujets liés à la laïcité ou aux discriminations »


Les chercheurs en sciences de l’éducation Françoise Lantheaume et Sébastien Urbanski ont coordonné l’ouvrage Laïcité, discriminations, racisme. Les professionnels de l’éducation à l’épreuve (Presses universitaires de Lyon, 320 pages, 25 euros). Une douzaine d’universitaires ont conduit pour ce livre près de 1 000 entretiens dans une centaine de collèges et de lycées dans 11 académies, entre la fin 2015 et le printemps 2020, pour comprendre comment les enseignants réagissent et travaillent ces questions vives.

Après l’ouvrage sur « Les Territoires perdus de la République. Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire » (Mille et une nuits, 2002), qui pointait les dérives communautaires en milieu scolaire, le livre « Territoires vivants de la République. Ce que peut l’école : réussir au-delà des préjugés » (La Découverte, 2018), qui lui répondait pour « aller au-delà des préjugés », vous arrivez à la conclusion de « territoires disputés de la République ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Sébastien Urbanski : Il semble essentiel à nombre de personnels de l’éducation interrogés de pouvoir échanger, y compris en cas de désaccord entre eux, pour catégoriser les situations difficiles liées à la laïcité ou aux discriminations afin d’agir au mieux. Les professeurs sont sans cesse en train d’arbitrer. Est-ce vraiment du racisme, une volonté de provocation, une parole maladroite propice à déployer un travail éducatif ? Doit-on sanctionner ou poursuivre le travail pédagogique ? L’interprétation des faits s’avère centrale et la dimension collective du métier d’enseignant leur est cruciale. Il s’agit, à chaque fois, de trouver la bonne solution au bon moment à tel endroit précis.

Françoise Lantheaume : Les questions liées à la laïcité, aux discriminations et au racisme ne peuvent pas être tranchées par circulaire, contrairement à ce que pensent les politiques. Elles demandent du débat. Là où il y a la possibilité d’une discussion sur comment faire au mieux, les problèmes qui peuvent surgir se résolvent relativement facilement, alors qu’à d’autres endroits, où ces dynamiques vertueuses sont moins présentes, des incidents jugés mineurs ailleurs peuvent devenir majeurs. Ce constat établit un clivage fort, au-delà des territoires géographiques, entre les établissements où un travail coopératif, collectif et collégial peut se produire et les autres.

Peut-on néanmoins dessiner une géographie des tensions liées aux discriminations et/ou à la laïcité ?

Sébastien Urbanski : La spécificité qui nous a le plus marqués est celle des territoires ruraux où le racisme peut être prégnant par endroits, avec des propos qui peuvent être choquants et ne peuvent pas toujours être récusés de manière frontale, car cela oblitérerait le travail pédagogique, qui nécessite un lien de confiance, y compris pour traiter ces questions. La variable géographique est ici cruciale.

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