« Les réglementations ont fait du béton un élément constitutif de la modernité, il faut sortir de cette vision »
Alors qu’un débat sur la solidité des habitations en pisé refait surface au Maroc, où le séisme survenu vendredi 8 septembre a fait près de 3 000 morts et dévasté environ 50 000 habitations, selon un bilan encore provisoire, Edward Ng Yan-Yung, qui enseigne l’architecture à l’université chinoise de Hongkong, revient pour Le Monde sur la technique de construction en terre crue parasismique qu’il a mise au point après le tremblement de terre qui a frappé la province du Yunnan en Chine en 2014.
Quel a été le principal défi à relever lors de la reconstruction du village de Guangming, dans laquelle vous vous êtes impliqué ?
Edward Ng Yan-Yung La difficulté centrale a été de convaincre les villageois que notre technique de construction était suffisamment sûre. Après le séisme, une majorité d’entre eux avait perdu confiance dans le bâti traditionnel – 90 % des maisons en pisé avaient été endommagées – et beaucoup souhaitaient reconstruire en brique et en béton. Mais compte tenu de la demande très forte et des mauvaises conditions de circulation dans la montagne, les prix de ces matériaux sont devenus presque inabordables.
L’attitude des villageois de Guangming a commencé à changer quand nous leur avons présenté notre prototype. Ils ont pu constater que le coût de reconstruction au mètre carré d’une maison en pisé était non seulement jusqu’à 40 % moins cher mais, qu’en plus, cette technique permettait aux habitants de conserver leur mode de vie, tout en étant en sécurité.
En quoi consiste cette technique ?
La maison en pisé du sud-ouest de la Chine est une structure à murs porteurs avec un plancher et un toit en bois. Après le séisme, nous avons enquêté et relevé plusieurs points faibles, notamment au niveau des fondations faites de pierre et de boue, et une connexion trop peu solide entre les murs longitudinaux et latéraux. Nous avons donc construit des fondations en béton et utilisé des poutres en béton et en acier afin de solidifier les murs et éviter les fissures.
La terre locale a ensuite été examinée en laboratoire pour être associée à un mélange adapté de sable et de paille. Afin de rendre les murs plus lisses et compacts, nous avons également utilisé un coffrage en alliage d’aluminium, au lieu du bois, et fait appel à un compactage non plus manuel mais électrique. Les résultats ont montré que, sous l’action d’une intensité sismique de magnitude 7 à 8, la maison en pisé reconstruite restait intacte.
Comme les zones touchées par le séisme au Maroc, la province du Yunnan est essentiellement rurale et montagneuse. Cette technique pourrait-elle y être utilisée ?
Oui, bien sûr. Après Guangming, plus de 70 maisons ont été reconstruites dans la province et ailleurs. Notre démarche répond à une interrogation qui se pose partout dans le monde : comment assurer la survie du bâti traditionnel dans le cadre d’une reconstruction post-catastrophe ? Après des décennies d’industrialisation et d’urbanisation, les réglementations ont fait du béton, de la brique et du parpaing des éléments constitutifs de la modernité. Il est très difficile de sortir de cette vision, mais nous y travaillons.
A Guangming, plus de 100 villageois, y compris des femmes, ont été formés et s’impliquent aujourd’hui dans des projets de construction en pisé. Outre ses propriétés antisismiques, c’est une manière de bâtir à la fois endogène et durable qui respecte la tradition et permet aux villageois de maintenir une cohésion et un sentiment d’appartenance à leur territoire.