Les robots contre les vitraux



Ma chère Thérésita (1) m’a entraîné à Metz : le diocèse concordataire, qui organise cette année une série d’événements à l’occasion des 150 ans de la naissance de la sainte de Lisieux m’avait en effet invité à donner une conférence à propos d’Éloge d’une guerrière, paru au début de l’année. Et puisque je ne connaissais pas Metz, que la conférence était prévue à huit heures du soir, et que j’avais envie de découvrir cette cité, j’ai pris un billet de train qui, si tout se passait bien, me permettrait de déambuler dans la ville presque deux heures, entre vitraux de Chagall, ruelles du XVIIIe et quais de la Moselle : enfin j’allais connaître Metz.

Au terme d’un trajet de métro stressant (la rame était pleine comme un œuf bouilli et d’une lenteur qu’on n’avait plus éprouvée depuis les chars à bœufs), j’arrive au bout du quai 25 de la gare de l’Est trois minutes avant le départ de mon TGV. C’est bon ! Je vais l’avoir ! Mais malheur de malheur, suis-je bête, il m’était sorti de l’esprit qu’à tout instant le monde moderne nous piège : l’accès au train m’est interdit par des portillons automatiques, auxquels un contrôleur zélé vient de donner les pleins pouvoirs sur ma liberté de circuler, alors même que mon billet édité par la SNCF m’intimait certes de me présenter sur le quai au plus tard 2 minutes avant le départ du train, mais pas davantage : or le train part à 40, et il n’est que 37 et maintenant 45 secondes sur l’écran officiel (je vous laisse faire le calcul : j’étais dans mon bon droit). C’est l’automatisation de tout, la défaite de la pensée, du discernement, du sens critique (plus simplement, l’abolition du bon sens). On va me traiter de passéiste, mais j’ai mes arguments, parce qu’on m’a privé de connaître Metz. Et je ne veux surtout pas que l’on m’explique pourquoi la SNCF a mis en place ces portillons au bout du quai, car on trouve toujours à justifier le grotesque et le superfétatoire, et l’on va me brandir de fausses histoires de sécurité, me reprocher d’être un inconscient, un assassin, un fou. Nous savons les ruses des marchands, des modernes, des machinistes.

Cela fait longtemps que ­Bernanos a posé les bonnes questions : « La machinerie est-elle une étape ou le symptôme d’une crise, d’une rupture d’équilibre, d’une défaillance des hautes facultés désintéressées de l’homme, au bénéfice de ses appétits ? (…) Je ne parle pas de l’invention des machines, je parle de leur multiplication prodigieuse, à quoi rien ne semble devoir mettre fin, car la machinerie ne crée pas seulement les machines, elle a aussi les moyens de créer artificiellement de nouveaux besoins qui assureront la vente de nouvelles machines. » Deux heures, donc, à attendre le train suivant dans un bistrot de la rue d’Alsace. Par chance, le portillon me laisse cette fois passer, et finalement me voici à Metz, dont je ne vais rien découvrir, puisque j’ai tout juste le temps de rejoindre l’église où il est prévu que je donne cette conférence thérésienne, et que mon train de retour m’emportera loin de ­Chagall et des bords de la ­Moselle le lendemain, à 6 h 23. Mais c’était compter sans Thérésita, qui avait tout de même prévu de me faire découvrir toute une série de splendeurs : les vitraux de Jean Cocteau, dans l’église Saint-Maximin. Modernes, vifs, très originaux, ils ne sont pas explicitement catéchétiques, et ont l’air d’avoir été davantage inspirés par le vaudou et Jean Marais que par l’Évangile. À une exception près : un vitrail montre Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face – que Cocteau adorait, comme tant d’artistes – les mains pleines de pétales de rose. Elle est forte, rayonnante, loin des statuettes sans âme que l’on trouve chez les marchands de bondieuseries. Pas étonnant, ma foi : ces dernières ont été faites par des machines.



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