« L’Hôpital et ses fantômes », Lars von Trier à nouveau aux urgences, un quart de siècle plus tard


CHRONIQUE

Balder (Nicolas Bro) dans la série « L’Hôpital et ses fantômes – Exodus », de Lars von Trier.

Il n’y a pas grand sens à regarder la troisième saison de L’Hôpital et ses fantômes, disponible depuis le 7 avril sur myCanal, sans avoir vu les deux précédentes, que l’on trouve fort heureusement sur la même plate-forme. Ces cinq derniers épisodes, intitulés L’Hôpital et ses fantômes – Exodus, arrivent certes un quart de siècle après leurs prédécesseurs, ils leur sont néanmoins liés organiquement – une excroissance dont la gestation aurait duré des décennies et qui n’apparaît que maintenant au grand jour.

Ce qu’il faut faire, c’est tout reprendre depuis le début, s’enfoncer dans les circonvolutions d’un cerveau de cinéaste, s’égarer dans le labyrinthe de l’inconscient d’un artiste, au risque d’y faire de mauvaises rencontres. Car L’Hôpital et ses fantômes appartient à une catégorie très restreinte de séries, celles qui constituent un élément essentiel d’une œuvre cinématographique : La Maison des bois de Maurice Pialat, Scènes de la vie conjugale et Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman, Twin Peaks de David Lynch.

Diffusée à l’automne 1994 par la télévision publique danoise sous le titre Riget (le royaume) la première saison de L’Hôpital et ses fantômes était l’œuvre d’un jeune réalisateur dont les trois premiers longs-métrages, Element of Crime, Epidemic et Europa, avaient fait forte impression. Les œuvres qui devaient en faire un maître révéré et controversé – Breaking the Waves, Les Idiots, Dancer in the Dark – restaient à venir. On en aperçoit les embryons dans L’Hôpital et ses fantômes : le jeu avec la forme documentaire (qui devait être codifié lors de la promulgation du Dogme), les attractions contradictoires exercées par la trivialité et le mysticisme et, enfin et surtout, la souffrance, « l’élément commun à toutes les formes de vie » – comme le dit l’un des personnages.

Si je puis me permettre de jouer un instant au docteur, je prescrirai d’absorber les deux premières saisons d’un coup, de laisser passer deux ou trois jours et de prendre enfin la dose finale, les cinq épisodes que Lars von Trier a présentés lors de la Mostra de Venise 2022. Divisés en deux par un hiatus de trois ans, les dix premiers épisodes forment néanmoins un récit continu, dont le point de départ est l’arrivée simultanée à l’hôpital royal d’un neurochirurgien suédois, Stig Helmer (Ernst-Hugo Järegard, 1928-1998), trop mesquin pour être tout à fait maléfique, trop retors pour être tout à fait pitoyable, et d’une patiente, Sigrid Drusse (Kirsten Rolffes, 1928-2000), hypocondriaque douée d’une seconde vue qui lui permet d’entrer en contact avec le monde des esprits.

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