LIGNE ROUGE – Un an de guerre en Ukraine: nos reporters racontent


Dans un documentaire inédit, les reporters de BFMTV qui ont couvert le conflit en Ukraine depuis plus de douze mois racontent leur quotidien sur ce terrain de guerre.

Les forces russes ont commencé à envahir l’Ukraine il y a un an, le 24 février 2022. Depuis ce jour, et même avant, ils sont nos yeux et nos oreilles. À travers leurs reportages, leurs directs, leurs rencontres, nos reporters nous font vivre cette guerre aux portes de l’Europe:

“On entend des bruits qu’on a jamais entendus de notre vie, des sons qui nous prennent aux tripes, qui font peur”.

Comment faire son métier de journaliste dans un pays dont on ne maîtrise ni les codes, ni la langue? Comment documenter des potentiels crimes de guerre? Les équipes de Ligne Rouge retracent ce jeudi soir cette année sur le terrain.

La stupéfaction face à l’entrée en guerre

“Et si la guerre était pour demain?”. Le 22 février 2022, notre reporter Clémence Dibout est à Sievierodonetsk, dans le Donbass, et montre la Une d’un journal locale, rédigée en langue russe. Avant le début officiel de l’invasion russe de l’Ukraine, la guerre fait rage depuis 2014 dans ces territoires de l’est du pays.

“La rédaction sent qu’il se passe quelque chose, sans en savoir l’ampleur, donc envoie des reporters pour sentir les choses, c’est le frémissement du conflit”, raconte notre journaliste.

“La situation est vraiment tendue, je ne sais pas quoi penser, chaque jour il y a de nouveaux développements”, affirme à notre micro une Ukrainienne. “Ce qui doit arriver, doit arriver”, ajoute une autre.

"Et si la guerre était pour demain?". Le 22 février 2022, notre reporter Clémence Dibout est à Sievierodonetsk, dans le Donbass, et montre la Une d'un journal locale, rédigée en langue russe.
“Et si la guerre était pour demain?”. Le 22 février 2022, notre reporter Clémence Dibout est à Sievierodonetsk, dans le Donbass, et montre la Une d’un journal locale, rédigée en langue russe. © BFMTV

Clémence Dibout se trouve ainsi à Sievierodonetsk, “pour voir ce qu’il se passait sur la ligne de front”. “Notre fixeuse nous dit le 23 février qu’il vaut mieux quitter le Donbass”, raconte-t-elle, “on a l’impression de quitter une zone de front pour une zone plus sûre vers Kiev”.

Le soir même c’est le déclenchement de la guerre, la capitale est touchée. “Vers 4 heures du matin, je me fais réveiller par les va-et-vient dans les couloirs”, détaille Clémence Dibout. Depuis la fenêtre de la chambre d’hôtel, qui donne sur la place Maïdan, elle filme pour BFMTV les premières explosions et les fumées au loin.

“Moi personnellement je suis sonnée: c’est impossible de prédire ce qu’il va se passer donc c’est compliqué de gérer”, confie-t-elle.

Les reporters auprès des civils

Ailleurs en Ukraine, la situation est similaire. Des journalistes de BFMTV sont présents dans plusieurs villes du pays. “On se rend compte qu’il y a une panique: les gens vont dans les magasins pour faire des provisions, notre fixeur est mis en joue par une milice privée. Je comprends que c’est le début de la guerre”, raconte Benoît Sarrade, qui se trouve à ce moment-là à Kharkiv.

Lors des premiers bombardements, nos reporters se rendent dans des abris anti-aériens et dorment parfois dans des sous-sols aux côtés des habitants, sous le bruit des sirènes. “Il y avait énormément d’enfants en bas âge”, se souvient Benoît Sarrade.

Des habitants trouvent refuge dans le métro de Kiev, le 24 février 2022 en Ukraine
Des habitants trouvent refuge dans le métro de Kiev, le 24 février 2022 en Ukraine © Daniel LEAL © 2019 AFP

Alors que l’on pense que la capitale va tomber, passés les innombrables contrôles routiers, le reporter et son équipe se rendent à Kiev. “Notre fixeur, originaire de Kiev, ne reconnaît pas sa ville car il n’y a personne, c’est vide”, poursuit le journaliste.

Dans les premiers jours du conflit, les habitants cherchent à fuir. Les reporters de BFMTV relatent cet exode. “Tout le monde ne pourra pas monter dans les trains, c’est la cohue, on demande de laisser passer les femmes et les enfants”, se remémore Benoît Sarrade. Les journalistes rencontrent des dizaines de personnes, aux situations très différentes. Très souvent, les hommes et les maris veulent rester en Ukraine pour se battre.

Travailler en terrain de guerre

Sur le terrain, l’équipe de journalistes est composée d’un rédacteur reporter, d’un journaliste reporter d’images, un chef de car – qui assure les moyens techniques – et un fixeur ukrainien qui devient l’intermédiaire entre les journalistes et les contacts locaux.

“J’étais comédienne et prof au lycée français de Kiev, maintenant je travaille comme fixeuse pour des journalistes français, c’était le moyen de rester dans le pays, de faire quelque chose et de comprendre la guerre”, confie Oksana Leuta.

Avant chaque départ, il y a toujours au moins une demi-journée de briefing où l’on revoit de nombreux aspects, notamment comment réagir si quelqu’un est blessé devant nous. Les reporters partent également avec un gilet pare-balles, un casque, une trousse de sécurité et un masque à gaz.

“On a beaucoup de mal à estimer le danger, sa distance, son imminence (…). On échange beaucoup, on partage nos expériences et nos peurs”, explique Jérémy Normand, journaliste à BFMTV.

“Si on doit attendre six heures dans un endroit extrêmement dangereux pour avoir l’image d’un tank qui tire, peut-être que ça ne vaut pas le coup”, complète-t-il.

Travailler sur un terrain de guerre amène également à des situations particulières. Nos journalistes ont, par exemple, rencontré un ancien tireur d’élite ukrainien qui se rend plusieurs fois par semaine sur la ligne de front pour exécuter des soldats russes. “On a rencontré quelqu’un qui tue des gens, c’est violent de se dire ça mais c’est la réalité, c’est une guerre”, relate notre journaliste.

En outre, les reporters sont très régulièrement amenés à travailler auprès de l’armée ukrainienne. “Souvent c’est la seule manière d’aller à certains endroits”, explique Benoit Ballet. “L’armée veut communiquer, il y a un intérêt à montrer certaines choses, c’est une forme de propagande: elle veut par exemple nous montrer qu’ils n’ont pas toutes les armes nécessaires“, raconte-t-il après un reportage dans une tranchée ukrainienne sur le front.

Boutcha et les crimes de guerre

La ville de Boutcha, au nord de Kiev, est libérée de l’occupation russe fin mars 2022. Meurtres de masse, exécutions sommaires, viols, torture… À cette occasion, le monde découvre le massacre subit par les habitants de cette ville. Nos journalistes ont été parmi les premiers à découvrir le drame.

À l’entrée d’un sanatorium, les soldats ukrainiens informent les journalistes de la présence potentielle de mines. “Mettez vos pas dans les nôtres”, prévient l’un d’entre eux. Les reporters de BFMTV découvrent alors une pièce où des hommes ont été torturés et abattus.

“Il faut absolument qu’on documente tout ce qu’on voit car potentiellement ce à quoi on assiste ce sont les premières preuves de crimes de guerre. Notre registre n’est plus seulement d’être journaliste mais de documenter les exactions qui ont été commises par l’armée russe”, affirme Benoît Sarrade.

“C’est vraiment une journée où j’ai un peu perdu possession de moi”, ajoute Oksana Teula.

Des corps gisent dans une rue de Boutcha, près de Kiev, le 2 avril 2022
Des corps gisent dans une rue de Boutcha, près de Kiev, le 2 avril 2022 © RONALDO SCHEMIDT © 2019 AFP

À Boutcha, nos journalistes font la connaissance de Timofey, un enfant qui a vécu les 39 jours d’occupation russe dans le sous-sol de son immeuble et qui fait la collection de cartouches de balles depuis le début de la guerre.

“Quand je remonte du sous-sol, je vois mon collègue Juan en train de danser la salsa avec une voisine de Timofey”, se souvient Benoît Sarrade. “Avec le courage des Ukrainiens, la vie est là et nous on doit continuer à faire notre travail pour raconter l’horreur qu’ils sont en train de vivre”.

“J’ai toujours voulu faire ce métier, mais on n’est jamais préparé à ce genre de choses, cette guerre est atroce”, abonde dans ce sens Jérémie Paire, après un tournage au milieu d’un combat d’artillerie pour traquer les crimes de guerre.

Élise Philipps et Sébastien Savoye se souviennent par exemple de la reprise de Kherson par l’armée ukrainienne et la visite du président Volodymyr Zelensky sur place. “On était les premières personnes extérieures à la ville que les habitants voyaient depuis des mois qui ne sont pas des Russes”, racontent-ils.

La mort de notre reporter Frédéric Leclerc-Imhoff

Notre journaliste, Frédéric Leclerc-Imhoff, a été tué le 30 mai 2022 dans l’est de l’Ukraine. Il était dans un camion blindé aux côtés d’Oskana Leuta et du journaliste Maxime Brandstaetter lorsqu’un obus a atterri proche du véhicule.

“Je suis à Kharkiv avec Dominique Mari et je vois le visage de notre fixeur Pavel qui change. Sur son téléphone, je vois l’accréditation de Frédéric et il me dit qu’il y a un journaliste qui est mort. Il n’a pas besoin d’aller plus loin, je regarde Dominique et je dis ‘Frédéric est mort'”, raconte Sébastien Savoye, journaliste reporter d’images sur BFMTV.

“Avec Frédéric, on était persuadé que c’était important de documenter, on était persuadés d’être utiles”, raconte ainsi Maxime Brandstaetter.

“Ce n’est pas parce qu’on a vécu un traumatisme, qu’on a perdu un camarade qu’il faut arrêter de montrer ce qu’il se passe là-bas. Il n’y a pas de raison de ne pas y retourner”, conclut-il.



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