l’ingérence russe sème la zizanie chez les influenceurs pro-Trump



«J’ai l’impression que toutes les personnes que je connais sont soit agent russe, soit agent fédéral. » À sa manière sarcastique, le podcasteur libertarien américain Michael Malice donnait à voir ce jeudi le trouble qui saisit actuellement le bouillonnant milieu des influenceurs conservateurs aux États-Unis. Sa cause : l’annonce par les autorités américaines d’une batterie de mesures destinées à contrer et sanctionner une opération d’ingérence russe, à laquelle serait mêlée une société de production collaborant avec des vidéastes et podcasteurs pro-Trump de premier plan.

Basée dans le Tennessee, la société Tenet Media aurait ainsi reçu des financements importants de la part du média public russe RT, considéré comme un porte-voix de la propagande russe à l’étranger. Si elle n’est pas nommée par les autorités, Tenet a été identifiée par plusieurs médias américains grâce, entre autres, à son slogan cité dans l’acte d’accusation : « Ici vivent des voix intrépides».

D’après le procureur général (équivalent du ministre de la justice) Merrick Garland, pas moins de dix millions de dollars (neuf millions d’euros) auraient été transférés à cette société par deux employés de RT dans le but de « créer et distribuer auprès du public américain du contenu relayant de façon dissimulée les messages du gouvernement russe» – au nombre desquels la nécessité de mettre fin au soutien à l’Ukraine.

Un réseau de « commentateurs hétérodoxes »

Sur son site, Tenet Media se présente comme un « réseau de commentateurs hétérodoxes» intéressé par la politique et la culture. « Notre objectif est de soutenir les créateurs qui remettent en question les institutions qui se croient au-dessus de toute remise en question», y est-il également écrit, dans une profession de foi qui ne dépareille pas avec le slogan relativiste de RT : « Question more » (« Posez-vous plus de questions »).

Parmi ses têtes d’affiche, les vidéastes Benny Johnson et Dave Rubin affichent chacun près de 2,5 millions d’abonnés sur YouTube, suivis par Tim Pool et son 1,4 million d’abonnés, ou encore Lauren Southern, qui en compte 750 000. Tous des opposants farouches au camp démocrate et à sa candidate Kamala Harris. Leurs diatribes se veulent autant de tirs de barrage contre l’immigration, le féminisme, le « wokisme » et les médias.

Les vidéastes collaborant avec Tenet Media se sont défendus d’avoir eu connaissance de ces financements, et se disent dupés par la société de production. « Je ne savais absolument rien de cette activité frauduleuse», a réagi Dave Rubin sur X. « Si ces allégations devaient s’avérer vraies, moi-même ainsi que les autres personnalités et commentateurs avons été trompés et sommes victimes», s’est défendu à son tour Tim Pool sur la même plateforme, dans un long message qualifiant le président russe Vladimir Poutine de « sac à merde ».

La mise en cause des deux employés de RT accusés d’être à l’œuvre derrière Tenet Media s’inscrit dans un effort plus large des autorités américaines pour battre en brèche les ingérences russes à l’œuvre à l’approche du scrutin présidentiel américain qui opposera Kamala Harris à Donald Trump le 5 novembre. Outre ces poursuites, les autorités américaines ont démantelé une opération « Doppelgänger » attribuée à l’administration présidentielle russe, consistant à diffuser de fausses informations et des articles hostiles à l’Ukraine à travers des « sites miroirs » (des pages Web imitant de vrais médias). Des sanctions ont également été annoncées à l’encontre de plusieurs responsables politiques et médiatiques russes.

Un effet de la guerre en Ukraine

Ces opérations donnent à voir la façon dont les méthodes d’influence de la Russie se sont adaptées à l’interdiction et cessation de diffusion de ses médias en Occident depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en 2022. « Avec la guerre, les Russes ont recomposé leur dispositif pour contourner les blocages en adoptant un mode d’action plus clandestin, note Colin Gérard, chercheur au centre Geode et auteur d’une thèse sur la stratégie d’influence informationnelle de la Russie. Tenet n’est qu’un des moyens de contournement mis en place par RT. Depuis le début de la guerre, ils ont créé des dizaines de sites miroirs et de chaînes YouTube inauthentiques pour poursuivre la diffusion de leurs contenus vers les publics occidentaux. »

Un choix assumé par la patronne de RT, Margarita Simonian elle-même, rappelle le chercheur, citant une vidéo dans laquelle la propagandiste comparait ces actions clandestines à celles des partisans soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Interrogée par l’agence Reuters, la chaîne a toutefois opposé un démenti grinçant aux accusations américaines, arguant que « trois choses sont certaines dans la vie : la mort, les impôts, et l’ingérence de RT dans les élections américaines ».

Fidèle à ce genre d’humour, le président russe Vladimir Poutine a adressé jeudi un clin d’œil ironique aux accusations américaines en déclarant depuis un forum économique de Vladivostok son « soutien » à Kamala Harris dans la course à la Maison-Blanche.



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