L’irrigation du maïs représente-t-elle un quart de l’eau douce consommée en France ?


Un champ de maïs dévasté en raison de la sécheresse, le 24 août 2022 près de Lyon (Auvergne-Rhône-Alpes).

Interrogée, vendredi 14 avril, sur la question du partage de l’eau lors de l’émission « Extra local », sur Public Sénat, la députée La France insoumise (LFI) de la Seine-Saint-Denis Aurélie Trouvé, ingénieure agronome de formation, a critiqué la culture du maïs, en déplorant que « 25 % de l’eau consommée en France est consommée par la culture du maïs ».

Le raisonnement de Mme Trouvé est relativement simple : l’agriculture représente 57 % de la consommation de l’eau en France, et « la moitié des surfaces irriguées le sont pour le maïs ». Ce qui équivaut à un quart de la consommation total.

Ce calcul a été vivement critiqué pour son simplisme, voire qualifié de mensonger, notamment par la journaliste du quotidien L’Opinion, Emmanuelle Ducros, sur Twitter. Elle y déplore un « chiffre sorti de nulle part et totalement faux », et propose un contre-argumentaire pour dénoncer un « bobard ».

Eau prélevée vs eau consommée, une nuance de taille

Mme Ducros (qui n’a pas répondu à nos sollicitations) explique dans ses tweets que les trois quarts des cultures de maïs ne sont pas irrigués et qu’un quart l’est, suggérant que la députée LFI a fait la confusion entre ce chiffre et la part d’eau consommée. Elle ajoute ensuite que l’irrigation agricole représente seulement 9 % des prélèvements en eau douce en France.

Mais la journaliste a vraisemblablement confondu deux notions :

  • le prélèvement désigne le fait de soustraire un volume d’eau aux milieux aquatiques, et inclut à la fois l’eau restituée à ces milieux et l’eau qui ne l’est pas ;
  • l’eau consommée désigne uniquement la part de l’eau prélevée qui n’est pas restituée aux milieux aquatiques.

En 2019, dernière année pour laquelle on dispose de chiffres, 31,5 milliards de mètres cubes d’eau douce ont été prélevés en France, et l’irrigation représente bien 9 % de ce total, comme en attestent les statistiques officielles (datant de 2017).

Mais la part de l’agriculture dans la consommation d’eau (61,5 %) est nettement plus élevée que sa part dans les prélèvements (10 %), puisqu’elle consomme environ 80 % de l’eau qu’elle prélève, d’après le service des données et des études statistiques (SDES) du gouvernement. Ce n’est pas le cas pour d’autres usages, comme le fonctionnement des centrales nucléaires ou l’alimentation des canaux, qui prélèvent de grandes quantités d’eau mais les restituent quasi intégralement.

On estime classiquement qu’environ 88-90 % de l’eau consommée par l’agriculture l’est pour l’irrigation. Le reste, de 10 % à 12 %, sert à l’abreuvage du bétail et au nettoyage des installations. Le poids réel de l’irrigation dans la consommation de l’eau en France a donc été, en 2019, d’environ 54 %.

La part du maïs dans ce total est, elle, plus difficile à estimer. Selon l’Agreste, le service statistique du ministère de l’agriculture, le maïs, tout type confondu (grain, fourrage, semence), représente 39 % des surfaces irriguées en France en 2020. Compte tenu de ses besoins en eau par hectare de culture, sensiblement équivalents à ceux du blé et supérieurs à ceux du maraîchage (les deuxième et troisième cultures les plus irriguées en France en hectares), il ne semble pas déraisonnable de penser que l’irrigation du maïs pèse pour un peu moins de la moitié du volume d’eau consommé par l’irrigation en France.

Le Monde

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Si les 25 % cités par Aurélie Trouvé relèvent d’un calcul rapide, l’ordre de grandeur est le bon. Le chiffre réel se situe probablement entre 21 % et 24 %, même s’il est difficile de le déterminer avec précision. Et comme l’analyse Marc Dufumier, agronome et professeur honoraire à AgroParisTech, contacté par Le Monde : « Ce n’est pas tant le chiffrage global du litrage qui importe que la question de l’origine de l’eau : est-ce de l’eau de pluie ou est-ce qu’on a été la puiser ? »

Les besoins en eau du maïs concentrés en saison sèche

Les cultivateurs de maïs vantent souvent les qualités de cette plante qui ne nécessite que peu d’eau pour se développer. C’est vrai : le maïs est une plante dite « en C4 », dont la photosynthèse est très efficace et permet de perdre moins d’eau que d’autres plantes. Selon des données du CNRS citées fréquemment par le monde agricole, 1 kilogramme de maïs grain nécessite environ 454 litres d’eau pour être produit, quand l’orge en nécessite 524, le blé et la pomme de terre 590, le soja 900 et le riz pluvial 1 600. Le maïs fourrage, que l’on récolte, broie puis stocke en silo et qui est destiné à l’alimentation animale, ne consomme lui qu’environ 238 litres d’eau par kilogramme produit.

Le problème n’est pas tant que le maïs consomme beaucoup d’eau que la période où il la consomme, car c’est une plante estivale : ses semis sont mis en terre entre avril et mai, et sa croissance intervient entre juin et août, une période de l’année où la plante est particulièrement sensible au stress hydrique et où les précipitations sont les plus faibles, alors que la ressource en eau douce est la plus rare. « Le vrai problème du maïs, c’est d’exiger de l’eau en été. C’est une plante tropicale, et sous les tropiques les saisons chaudes c’est la saison des pluies. Chez nous, les saisons chaudes sont les saisons où il pleut le moins », commente Marc Dufumier.

C’est la raison pour laquelle le maïs a de gros besoins en irrigation : en 2021, selon l’Agreste, 35,12 % des surfaces cultivées de maïs grain ont été irriguées, contre 4,8 % des surfaces de blé, et 4 % pour les autres céréales.

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L’irrigation, clé du rendement de la culture de maïs

Irriguer le maïs a un intérêt économique majeur pour les agriculteurs. En moyenne, entre 2016 et 2021, le rendement du maïs grain non irrigué était de 9,23 tonnes par hectare, contre 10,95 tonnes par hectare pour le maïs grain irrigué, soit un gain de 18,6 %. En 2020, ce gain de rendement a permis de produire environ 1,2 million de tonnes de maïs en plus.

Une telle irrigation n’est néanmoins pas sans conséquences. Les sous-bassins du sud-ouest du pays (Mayenne-Sarthe-Loir, Charente, les côtiers aquitains et charentais), où est cultivée une bonne partie du maïs grain, sont particulièrement vulnérables au stress hydrique estival. « Ils recèlent de faibles ressources en eau renouvelables, tout en faisant face à une forte consommation estivale », note un rapport du SDES de 2021. Dans ces bassins, l’agriculture consomme plus de 90 % de l’eau disponible en été, et « est essentiellement destinée aux cultures céréalières, majoritairement le maïs », note le rapport.

Le réchauffement climatique et l’augmentation de la fréquence des sécheresses en France risquent d’aggraver la situation en engendrant des conflits d’usage autour de l’eau douce dans ces territoires si cette irrigation se poursuit au même niveau. La moyenne des ressources en eau douce a déjà décliné de 14 % entre 1990 et 2018, et cette baisse risque de se poursuivre. L’augmentation des températures va favoriser l’évapotranspiration, notamment pendant la période de recharge qui s’étale de septembre à février, ce qui risque de l’écourter significativement.

A long terme, de tels épisodes de sécheresse risquent de se multiplier et de fragiliser les sols de plus en plus tôt dans l’année. De nouvelles projections climatiques parues à l’automne 2022 montrent que le réchauffement pourrait atteindre + 3,8 °C d’ici la fin du XXIe siècle. « Il est certain qu’un tel réchauffement va entraîner des canicules plus fréquentes, longues et sévères, un assèchement important des sols et une forte baisse des ressources en eau », notait alors Julien Boé, directeur de recherche (CNRS) au Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique, et l’un des auteurs de l’étude.





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