manque d’eau et enclavement, les conséquences d’une sécheresse déjà historique
À contempler le puissant Maroni et son estuaire de près de 5 kilomètres de large qui marque la frontière entre l’ouest de la Guyane française et le Suriname, difficile d’imaginer que ce fleuve aux eaux limoneuses, véritable bras de vie de toute une région, puisse être innavigable.
Alors qu’il reste près de deux mois de saison sèche, le Maroni a pourtant déjà atteint un niveau d’étiage « alarmant », selon Météo France. Et ce avec plusieurs semaines d’avance par rapport à l’année 2023, déjà marquée par une sécheresse exceptionnelle qui n’a pas été compensée par la saison des pluies ayant suivi.
Depuis seize mois, la région souffre en effet d’un déficit pluviométrique chronique (à l’exception de mai 2024) et des températures anormalement hautes. Outre le dérèglement climatique qui accentue comme dans le reste du monde l’intensité et la récurrence des épisodes de sécheresse, ce déficit s’explique surtout par l’influence du phénomène océanique El Niño.
Des produits plus chers
Sur le Maroni, le niveau de l’eau est si bas que les dizaines de « sauts », sorte de rapides rocheux, qui ponctuent le lit du fleuve, sont désormais très difficilement franchissables en pirogue, principal moyen de déplacement dans une région dépourvue de route dès que l’on quitte le littoral.
«Les pirogues sont obligées de diminuer leur charge de moitié, et les délais de navigation sont deux à trois fois au-dessus de la normale», confirment les services de l’État. «Les magasins ont du mal à s’approvisionner et les prix augmentent. Le pack d’eau potable est à plus de 12 €, contre 8 en temps normal», indique Félix Dada, maire de Grand-Santi, une commune du fleuve de 9 000 habitants.
Plus on remonte dans les terres et plus la situation devient critique. En plus du coût prohibitif de la vie, plusieurs villages isolés de la commune de Maripasoula, dans le Haut Maroni, n’ont plus d’accès à l’eau potable. Dans ces localités appelées des « kampus » et majoritairement peuplées d’Amérindiens Wayanas, l’approvisionnement se fait grâce à des forages qui pompent dans les nappes phréatiques remplies par capillarité par le Maroni, dont le niveau est désormais trop bas.
«Chez moi, il ne coule plus une goutte. Et à Taluen (le village le plus proche, NDLR), il peut y en avoir un petit peu le matin, tôt, mais dès l’après-midi, on ne peut compter que sur le fleuve pour faire sa vaisselle, sa lessive ou aller aux toilettes», témoigne un habitant de la région.
Selon la préfecture, au moins un millier de personnes seraient concernées, mais la pénurie pourrait s’étendre dans les prochaines semaines, alors que Météo France envisage la poursuite de la sécheresse et fait part de ses « incertitudes » quant à la date de la transition vers la saison des pluies, ayant théoriquement lieu fin novembre.
Le manque d’eau, problématique structurelle
Face à la crise, les services de l’État ont acté plusieurs réponses comme l’envoi de cachets de purification de l’eau afin de potabiliser l’eau des criques (rivières). Le village de Taluen, un des plus importants du Haut Maroni avec 400 habitants, devrait recevoir dans les prochaines semaines un générateur d’eau capable de produire 500 litres par jour grâce à l’humidité ambiante.
Si ces mesures d’urgence sont bienvenues, elles ne sauront répondre à la problématique structurelle de l’accès à l’eau potable dans les kampus du Haut Maroni, identifiée de longue date au même titre que d’autres carences, comme l’accès à la santé. À l’échelle de la Guyane, l’agence régionale de santé estime que 15 % de la population, soit 40 000 personnes, n’ont pas un accès quotidien à l’eau potable, essentiellement dans les villages isolés.
Cela fait des années que les autorités locales alertent sur l’accès restreint à l’eau et réclament la rénovation des systèmes de pompage – souvent très vétustes – ou la construction de forages plus profonds adaptés aux futures sécheresses.
En mars dernier, plusieurs villages avaient déjà dû faire face à une pénurie d’eau comme à Pidima, où l’école a même été bloquée par des parents d’élèves qui dénonçaient des conditions d’hygiène déplorables. À l’époque, des packs d’eau avaient dû être acheminés par hélicoptère depuis le littoral pour répondre à la crise.
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La route du fleuve, une alternative terrestre au Maroni
Réclamée par les élus locaux depuis les années 2000, la route du fleuve entre Maripasoula et Saint-Laurent-du-Maroni devrait offrir une alternative terrestre au Maroni pour désenclaver un bassin de vie d’environ 30 000 habitants, notamment en saison sèche. Le projet, inscrit en 2016 au schéma d’aménagement régional de la Guyane, est estimé à 1 milliard d’euros.
Sur un tracé d’environ 200 kilomètres, un premier tronçon de 50 kilomètres a été réalisé entre Saint-Laurent-du-Maroni et Apatou tandis qu’un second tronçon entre Maripasoula et Papaichton de 32 kilomètres devrait être achevé en 2027.
Lors de sa venue en mars 2024, Emmanuel Macron a annoncé confier à l’armée la réalisation d’une étude sur la construction d’une « piste améliorée », sur le tronçon manquant. L’étude est achevée, mais ses conclusions n’ont pas encore été rendues publiques.