Michel Barnier, en quête d’une majorité



En septembre 1973, Michel Barnier commençait sa carrière politique en tant que conseiller général de la Savoie. Cinquante et un ans plus tard, le voici premier ministre à 73 ans. « Cette nomination intervient après un cycle inédit de consultations au cours duquel le président s’est assuré que le premier ministre et le gouvernement à venir réuniraient les conditions pour être les plus stables possible et se donner les chances de rassembler le plus largement », a expliqué l’Élysée, dans un communiqué publié jeudi 5 septembre.

Après avoir testé les profils de l’ancien chef de gouvernement social-démocrate Bernard Cazeneuve et du président Les Républicains de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand, le président de la République a porté son choix sur un homme de consensus, grand européen et au projet compatible avec les réformes conduites depuis 2017. La position passée de Michel Barnier en faveur d’un recul de l’âge de départ à la retraite à 65 ans peut laisser penser qu’il ne remettra pas notamment en cause la réforme des retraites promulguée en 2023, malgré un important mouvement social.

Michel Barnier a une longue expérience du pouvoir dans des gouvernements de droite et dans les arcanes de l’Union européenne. Ancien commissaire européen, il a été le patient négociateur de la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, le Brexit, entre 2016 et 2021. Une période durant laquelle Emmanuel Macron et lui ont appris à se connaître. Le chef de l’État a estimé que les qualités de dialogue et de recherche de compromis de « monsieur Brexit » pourraient répondre à la situation politique inédite depuis la dissolution de l’Assemblée nationale et la fragmentation de son hémicycle en trois blocs, chacun minoritaire.

Une inflexion de la ligne Wauquiez

Le parti macroniste Renaissance a aussitôt fait savoir qu’il ne voterait pas de « censure automatique » contre le gouvernement que doit former Michel Barnier, mais portera « des exigences sur le fond, sans chèque en blanc ». Celui d’Édouard Philippe, Horizons, partenaire de la coalition présidentielle, s’est, lui, déclaré prêt « à l’aider ». Michel Barnier est le troisième premier ministre d’Emmanuel Macron issu de LR, après Édouard Philippe et Jean Castex. À la suite de la réélection de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée, le 18 juillet, grâce au ralliement de la droite, la nomination de Michel Barnier s’inscrit dans cette logique.

Le président du groupe Droite républicaine à l’Assemblée, Laurent Wauquiez, membre de LR lui aussi, a d’ailleurs félicité Michel Barnier, assurant qu’il avait « tous les atouts pour réussir dans cette difficile mission qui lui est confiée ». Invités le 3 septembre à l’Élysée, Laurent Wauquiez, Gérard Larcher, président du Sénat, et Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR, avaient déjà consenti à soutenir un gouvernement dirigé par Xavier Bertrand, alors que la droite refusait jusqu’alors de participer à une coalition gouvernementale.

Le 30 août, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy avait aussi appelé LR à œuvrer pour « faire nommer un premier ministre de droite ». « S’il y en a un qui a eu de l’influence dans cette décision, c’est lui, assure Virginie Martin, professeure de science politique à Kedge Business School. Emmanuel Macron a fait une bascule sur la nomination d’une figure de droite à Matignon après l’avoir rencontré. Dans ce contexte, le rôle de Marine Le Pen est pour moi secondaire. »

Le gouvernement « aura une épée de Damoclès au-dessus de la tête »

Dans la dernière ligne droite, beaucoup ont pourtant prêté au Rassemblement national la position d’arbitre, de « DRH » d’Emmanuel Macron, voire de faiseur de roi. Jusqu’à l’ancien président François Hollande, selon lequel « le RN, précisément l’extrême droite, a donné une forme de quitus » à la nomination de Michel Barnier. Un avis que Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof et enseignant à Sciences Po, ne partage pas : « Même si le poids du RN à l’Assemblée nationale est important, avec 143 députés (en raison de son alliance avec Éric Ciotti, NDLR), c’est aller un peu trop loin que de lui prêter la position d’arbitre. Il n’a pas plus de pouvoir de nuisance quant à la formation d’une majorité gouvernementale que le Nouveau Front populaire et Les Républicains. Et il ne pourrait pas faire censurer seul le premier ministre. »

Pour autant, le parti lepéniste dispose d’une position stratégique, qu’il a su exploiter. Ses menaces de motion de censure ont ainsi contribué à écarter l’ex-favori Xavier Bertrand, rival de Marine Le Pen dans les Hauts-de-France, ainsi que le président du Conseil économique, social et environnemental, Thierry Beaudet, jugé trop « insultant » envers le RN. Plus mesuré sur Michel Barnier, le parti a annoncé attendre la teneur de son « discours de politique générale » avant de se positionner, ou non, sur une censure.

Parmi les exigences du RN, l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives, un engagement pour le pouvoir d’achat et pour réduire l’immigration.Le profil de Michel Barnier doit être rassurant sur ce dernier point, celui-ci ayant proposé, lors de la primaire LR pour la présidentielle de 2022, un moratoire sur l’immigration, avec une pause migratoire de trois à cinq ans. « Quoi qu’il arrive, le prochain gouvernement aura une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Nous ne comptons ni sur la bienveillance du RN, ni sur ses voix, comme nous l’avons toujours fait. C’est un paramètre à prendre en considération sans chercher à influer dessus », fait valoir le député Ensemble pour la République, Mathieu Lefèvre, proche de Gérald Darmanin.

Un blocage de la gauche

Si Michel Barnier a été choisi, c’est aussi en raison du positionnement de la gauche, arc-boutée sur la défense de sa candidate Lucie Castets et l’application de son programme. « En refusant de désigner comme premier ministre une personnalité issue du Nouveau Front populaire, coalition de gauche pourtant arrivée en tête des élections législatives, Emmanuel Macron tourne la page d’une tradition républicaine partagée et respectée jusqu’alors dans notre pays », a encore défendu le PS jeudi. « Le Parti socialiste n’ayant jamais voulu soutenir la candidature de Bernard Cazeneuve », Emmanuel Macron « fait donc le choix d’un premier ministre de droite », a accusé Renaissance.

Mardi, le bureau national du PS avait rejeté une proposition pour ne pas censurer a priori un gouvernement mené par l’ancien socialiste Bernard Cazeneuve, un temps favori. Face à la pression des parlementaires, qui réclament l’ouverture d’une session extraordinaire de l’Assemblée nationale, Michel Barnier devra prouver qu’il est bien l’homme idoine pour trouver la « stabilité institutionnelle » tant recherchée par Emmanuel Macron.

—–

Une cohabitation pas comme les autres

Trois cohabitations ont eu lieu sous la Ve République : de 1986 à 1988 entre le président socialiste François Mitterrand et Jacques Chirac (RPR-UDF) ; de 1993 à 1995 entre François Mitterrand et Édouard Balladur (Union pour la France RPR-UDF) ; et de 1997 à 2002 entre le président Jacques Chirac et Lionel Jospin (PS).

La désignation de Michel Barnier à Matignon diffère des autres, car le nouveau premier ministre ne représente pas une majorité à l’Assemblée, et provient d’une droite proeuropéenne politiquement proche du chef de l’État.

Le camp macroniste ne parle d’ailleurs pas de « cohabitation » mais de « coalitation », un néologisme inventé pour définir ce nouveau « en même temps ».



Lien des sources