Multivers



Le scénario de la réforme des retraites tient désormais du multivers, la dernière martingale des brillants esprits de Hollywood : un film dans lequel les acteurs évoluent au sein de réalités parallèles et déconnectées entre elles. Dans l’univers des syndicats, l’exécutif peut encore plier, il suffit de rester mobilisés, de descendre en nombre dans la rue sur l’air d’« On ne lâche rien », comme en ce mardi 6 juin. Dans l’univers des députés d’opposition, il est possible de voyager dans le passé et, à la faveur d’une niche parlementaire, d’abroger un texte à peine adopté – improbable coup de théâtre que certains envisagent pour ce jeudi 8 juin. Dans l’univers du gouvernement, tout se passe comme si rien n’était arrivé, la page est tournée, les premiers décrets sont publiés, la réforme s’appliquera au plus tard cet automne. Chacun reste persuadé d’avoir raison. Tous ont d’ailleurs une part de légitimité. C’est bien le problème de cet interminable feuilleton : ces trois légitimités – celle de la rue, celle du Parlement et celle du gouvernement – ne se sont jamais vraiment rencontrées. Les différents acteurs n’ont jamais poussé la discussion jusqu’au bout, ils n’ont jamais envisagé la moindre concession. Les torts, bien sûr, sont partagés. Mais le résultat est là : une histoire sans fin et un spectacle – il faut bien le dire – assez lassant, où chacun s’enferme dans un rôle, qu’il joue dans son coin, sur sa petite scène, à destination de son public. Du mauvais théâtre. Et de la piètre politique. Laquelle, quand elle est mieux menée, consiste précisément à faire coïncider des visions et des intérêts divergents, par le partage des diagnostics, la médiation du vote et la négociation. Cela requiert hauteur de vue et imagination, qualités dont tous les protagonistes ont manqué dans cette affaire.



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