“Notre exposition nous confère un rôle particulier”


À partir de vendredi, les producteurs de séries, films et documentaires sont tenus de fournir un bilan d’émission carbone s’ils veulent obtenir des aides du Centre national du cinéma et de l’image animée. Cette étape s’inscrit dans un plan plus large visant à fixer un cap de réduction des émissions pour l’industrie audiovisuel. France 24 fait le point avec Alissa Aubenque, spécialiste de l’éco-responsabilité dans ce secteur.

Les métiers de l’image sont priés de se mettre au vert. À compter du 31 mars 2023, toute production audiovisuelle souhaitant obtenir des financements auprès du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), est désormais tenue de fournir un bilan d’émission carbone.

Cette mesure, qui conditionnera à partir de l’année prochaine l’attribution d’aides publiques, a pour but d’accompagner la transition écologique du secteur, qui inclut le cinéma, la télévision ainsi que la publicité. 

En France, ces activités génèrent 1,7 million de tonnes équivalent carbone émis chaque année, en incluant la distribution des vidéos en streaming, selon Ecoprod, spécialiste des questions environnementales dans l’audiovisuel. France 24 s’est entretenu avec Alissa Aubenque, chef de projet au sein de cette association qui forme les professionnels du secteur aux bonnes pratiques.

France 24 : Ecoprod a développé l’un des outils mis à disposition des productions pour évaluer l’empreinte carbone de leur projet. Comment fonctionne-t-il et quel est son but ?

Alissa Aubenque : Cet outil, nommé Carbon’clap, est un calculateur en ligne gratuit conçu pour les professionnels du secteur. Il vient d’être homologué par le CNC, dans le cadre du “plan Action”, pour accélérer la transition écologique et énergétique dans l’audiovisuel. Ce plan impose désormais aux productions de fournir deux évaluations de la production carbone pour chaque projet : un bilan prévisionnel en amont puis un bilan définitif, une fois le projet achevé. 

Notre outil a pour but de faciliter cette démarche pour les professionnels. Ils doivent rentrer un certain nombre de critères, comme le nombre de kilomètres parcourus, les modes de transports utilisés, la consommation électrique ou bien la quantité de déchets produits. Nous privilégions les mesures directes, car elles permettent un calcul plus précis, mais il est également possible de déclarer des données budgétaires, pour la production des costumes par exemple. L’impact n’est bien sûr pas le même si l’on investit cet argent dans de la ‘fast-fashion’ ou du matériel recyclé mais il permet tout de même d’établir une estimation.  

Le logiciel convertit ces données en production de CO2 et permet d’obtenir une évaluation globale. Le but de cette démarche est double : sensibiliser et impliquer les acteurs du secteur tout en collectant des données qui permettront de fixer, dans un second temps, des objectifs de réduction.  

Y-a-t-il aujourd’hui des aspects particulièrement problématiques dans la production audiovisuelle qui nécessitent une action spécifique ?  

La production audiovisuelle a pour particularité de rassembler un nombre d’activités très larges incluant l’utilisation de bureaux, les activités de tournages, les productions de décors mais aussi les activités de post-production jusqu’à la diffusion elle-même. 

Nous avons défini une cinquantaine de critères pour amener les productions vers de bonnes pratiques. Parmi elles, l’utilisation de groupes électrogènes, qui alimentent les tournages en électricité, pose un problème particulier.

Ces gros moteurs alimentés au fuel sont très polluants, bruyants et occasionnent parfois des fuites. Mais comme les équipes bougent beaucoup et qu’il est parfois difficile de prévoir en amont les lieux de tournage, ils sont encore massivement utilisés, y compris dans les grandes villes ou le raccordement électrique est pourtant possible. Le problème est que les délais pour obtenir le raccordement temporaire sont très longs, nous travaillons donc avec les collectivités pour régler cette question.

Le transport est bien sûr un autre sujet de préoccupation majeur. Dans ce domaine il est essentiel de penser les bonnes questions en amont : faut-il vraiment tourner cette scène à l’étranger ou peut-on la recréer ici en France ? La planification est également essentielle pour rassembler les lieux de tournage et favoriser, pour au moins une partie de l’équipe, l’utilisation des transports en commun.

En réalité, il faut que la question environnementale soit prise en compte dès l’écriture du scénario. Il ne s’agit pas de brider la créativité, mais de trouver un arbitrage juste entre les qualités artistiques du film et son impact écologique. Il y a également beaucoup d’aspects à améliorer qui n’ont rien à voir avec le film en lui-même, ne serait-ce que le fait de diminuer la quantité de viande lors des repas servis aux équipes.  

Le CNC a annoncé son plan d’action en 2021, n’est-ce pas un peu tardif, au vu de l’importance des enjeux ? Comment cette nouvelle approche, visant à inclure les critères environnementaux dès le départ dans la conception des projets, est-elle perçue dans le secteur ?  

Dans notre secteur comme dans beaucoup d’autres, la prise de conscience a été progressive et les annonces du CNC ont marqué un tournant. Notre association, qui travaille sur cette question depuis 2009, rassemble aujourd’hui 250 entreprises qui ont bien conscience que l’avenir de leur industrie est en jeu.   

Nous avons mené de nombreuses études pour indiquer la marche à suivre, mais un gros travail reste à faire pour structurer une action efficace, par la formation et le travail d’équipe. Pour ce faire, il est essentiel d’inclure tous nos métiers, mais également de développer des passerelles avec d’autres industries, comme le spectacle ou le BTP, pour optimiser le stockage et le recyclage des matériaux de décors notamment.  

L’audiovisuel est loin d’être l’industrie la plus polluante en France. Mais son impact écologique demeure aujourd’hui difficile à évaluer car il se dilue à travers de nombreux autres secteurs, d’où le sens de notre démarche.

Par ailleurs, notre industrie est extrêmement médiatisée et cette exposition nous confère un rôle particulier. Notre secteur est vecteur d’imaginaire. Nous nous devons de promouvoir la question climatique à travers nos œuvres, tout en donnant nous-mêmes l’exemple. 



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