Paix troublée en Irlande du Nord



La paix en Irlande du Nord s’est imposée un jour de froide grisaille. Le 10 avril 1998, à Belfast, les ennemis serraient les poings autant qu’ils se tendaient la main. Vingt-cinq ans plus tard, la haine n’a pas disparu, pas plus que sa grande sœur, la peur. Mais elle a perdu du terrain.

Dans un monde rongé par les conflits, il est bon de se rappeler com- ment l’un d’eux fut éteint. Il fallut quatre ans de négociations. L’accord fut signé le jour du Vendredi saint, après trois décennies d’affrontements, d’émeutes, d’attentats qui firent 3 500 morts. D’un côté, les loyalistes, majoritairement protestants, défendant l’union de la province à la Grande-Bretagne et leur attachement à la Couronne britannique. De l’autre, les nationalistes, majoritairement catholiques, affirmant leur identité irlandaise et réclamant leur rattachement à la République voisine. Les ennemis durent accepter le principe d’autodétermination par les urnes et un partage du pouvoir. Londres et Dublin s’impliquèrent fortement. Les États-Unis et l’Union européenne apportèrent un soutien décisif, diplomatique et financier. Le prix Nobel de la paix distingua deux hommes politiques du sérail : John Hume et David Trimble, qui avaient mené un énorme travail de conviction au sein de leurs communautés respectives.

Aujourd’hui, la paix est toujours en marche. La violence relève d’activités criminelles « classiques ». Des programmes intercommunautaires tissent du lien entre des quartiers qui entretenaient une hostilité séculaire. La grande majorité des Nord-Irlandais savourent la paix. Mais un triple ébranlement a fragilisé le consensus autour des accords (1). Démographiquement, le nombre de catholiques a dépassé en 2021 celui des protestants (45,7 % contre 43,5 % de la population). Politiquement, une bascule identique a, l’an dernier, fait des républicains du Sinn Féin la première force de la province, devant le parti unioniste DUP (2). Surtout, le Brexit a brisé la toiture commune qui abritait tous les Irlandais, celle de l’Union européenne. La sortie du Royaume-Uni, le 31 janvier 2020, menaçait d’introduire une frontière « en dur » entre les deux parties de l’île d’Irlande, en rupture avec l’accord de 1998. Pour l’éviter, une solution âprement négociée entre Bruxelles et Londres prévoit que l’Irlande du Nord se conforme aux règlements sanitaire et douanier du marché unique européen, ce qui implique des contrôles entre la Grande-Bretagne et l’île d’Irlande. Une solution inacceptable pour les unionistes. En représailles, ceux-ci bloquent depuis un an les institutions provinciales. La frustration monte dans les deux camps et le MI5, service de renseignement britannique, vient de rehausser le niveau de menace terroriste à « élevé ».

De nouveaux efforts collectifs doivent donc être engagés pour apaiser les craintes et tracer des perspectives communes. Londres et Dublin doivent y travailler ensemble. La visite cette semaine du président américain Joe Biden s’est aussi inscrite dans ce contexte. Quant à l’Union européenne, malgré le Brexit, elle doit s’impliquer de façon imaginative en ne se limitant pas aux enjeux commerciaux mais en suscitant des initiatives de coopération et de coexistence entre Irlandais. Cela relève bien de son projet de paix.



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