« Pour la majorité des femmes, la vie n’a pas changé »



Comment la place des femmes a-t-elle évolué au cours des vingt dernières années en Afghanistan ?

Les gouvernements occidentaux ont justifié largement la guerre en Afghanistan au nom de la défense des droits des femmes. Mais l’idée que leur situation s’est beaucoup améliorée entre la chute des talibans, en 2001, et leur retour, en 2021, demeure très exagérée. N’oublions pas que l’étudiante en sciences islamiques Farkhunda Malikzada a été lapidée et brûlée en plein jour à Kaboul en 2015, sous les yeux de la police, qui n’a pas bougé.

Les changements observés – l’inscription du droit des femmes dans la Constitution, l’arrivée de députées au Parlement et l’ouverture des écoles pour filles – sont à relativiser, même au sein des villes qui ont le plus profité de la reconstruction. On a insisté sur l’accès à l’éducation, mais de quelle éducation s’agissait-il ? J’ai assisté à un cours de morale à l’université de la capitale où on expliquait que le cerveau des femmes est plus petit que celui des hommes…

Que dire alors de la situation en zone rurale où vivent les trois quarts de la population afghane ?

Pour la majorité de ces femmes, la vie n’a pas changé sous le pouvoir mis en place par les Américains. Les talibans ont repris le contrôle des campagnes au bout de quelques années, tandis que les écoles des filles ont dû fermer, faute de sécurité. Les villageois ont subi les raids de l’Otan et les attaques de drones sans voir leur quotidien s’améliorer. La guerre et l’occupation ont fini par créer une forme d’anxiété, voire de rejet, sur la question des droits des femmes, perçue comme une norme imposée par l’occupant étranger. Alors que le monde rural aurait pu accepter la modernisation de la société si elle s’était accompagnée de projets de développement.

Avec les talibans à nouveau au pouvoir, c’est le retour à la case départ…

L’histoire des femmes afghanes est faite d’avancées et de reculs… Dans les années 1920, le roi Amanullah Khan rend l’école obligatoire, encourage les femmes à se dévoiler, recule l’âge du mariage et interdit les habits traditionnels à Kaboul. Déconnecté du monde rural, il est finalement renversé. Sa politique sera reprise par le roi Zaher Shah dans les années 1970, une période où il était possible de se promener tête nue dans les rues de la capitale. Pour justifier leur invasion, les Soviétiques mettront ensuite en avant la défense des droits des femmes, qui entrent dans les années 1980 en politique et à l’université. En voulant séculariser la société, l’occupant nourrit cependant la résistance des moudjahidines et la réislamisation de la société.

Les talibans portent au paroxysme la ségrégation des sexes. Qu’est-ce qui relève, dans leur politique, d’une interprétation de l’islam et des traditions patriarcales ?

À l’origine, les talibans sont de jeunes enfants qui ont grandi dans les camps de réfugiés au Pakistan. Confiés à des écoles coraniques (les madrasas), ils y apprennent le deobandi(un courant de pensée qui prône une lecture littéraliste du Coran, NDLR), une branche de l’islam très éloignée du soufisme qui domine traditionnellement en Afghanistan. Au deobandi, ils superposent une couche culturelle, le pachtounwali, ce code de l’honneur qui s’est rigidifié au cours du temps. Ajoutons que les premiers talibans n’ont pas été élevés dans la mixité et connaissent peu les femmes. Même chose pour ceux qui les ont rejoints ces vingt dernières années. Villageois illettrés pour la plupart, ils ont passé l’essentiel de leur temps à combattre dans les montagnes.

Traditionnellement, la purdah régit une partie de la ségrégation physique des sexes. De quoi s’agit-il ?

La purdah, qui signifie le voile (ou rideau), est pratiquée aussi bien par les hommes que les femmes. Lorsqu’ils se rencontrent, des individus de sexe opposé doivent soit se voiler, soit maintenir une distance et une politesse extrêmes. Les hommes, par exemple, vont détourner le regard devant une femme qui n’est pas de leur famille ou encore l’appeler « ma sœur », pour créer un lien familial et éviter toute ambiguïté. Mais les règles de la purdah sont assez fluides et peuvent se transformer en jeu.

En Afghanistan, les hommes et les femmes sont perçus comme complémentaires et non comme égaux. Comment leurs relations sont-elles définies au sein du couple ?

Lorsqu’une femme trouve du travail et ramène l’argent au foyer, sa force de négociation est plus importante. Mais en général, le mari demeure le chef de famille, qui est tourné vers l’extérieur, tandis que l’épouse s’occupe de la sphère domestique, de l’éducation des enfants et de leur mariage. Elle vit dans la maison de sa belle-famille, où, très souvent, plusieurs générations cohabitent sous le même toit. Même au sein des familles dotées d’un capital culturel et économique, il existe une pression sociale sur l’homme afin qu’il subvienne aux besoins de son épouse et de ses enfants.



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