Quand Le Figaro publiait une tribune de Michel Barnier, alors âgé de 19 ans


LES ARCHIVES DU FIGARO – En 1970, le jeune Michel Barnier, pressé d’entrer en politique, écrivait au Figaro pour plaider la cause de l’éligibilité à 21 ans.

Michel Barnier, nommé ce 5 septembre premier ministre après soixante jours de tergiversation, doit être un homme de patience. Une qualité dont il a dû faire preuve comme négociateur en chef du Brexit. Mais ce Savoyard à la longue carrière politique a aussi été un jeune homme pressé.  

Adolescent, Michel Barnier adhère au Mouvement des jeunes gaullistes, l’UJP, et à 19 ans, il écrit au Figaro. Le 15 septembre 1970, à l’occasion d’un débat télévisé sur la jeunesse et la politique, le quotidien publie le «point de vue» du jeune étudiant qui plaide pour un abaissement de l’âge de l’éligibilité à 21 ans au lieu de 23 ans. Plus jeune conseiller général en 1973, plus jeune député en 1978, il est aujourd’hui, à 73 ans, l’hôte de Matignon le plus âgé de la Ve République.


Article paru le 15 septembre 1970

Deux hommes s’interrogeront ce soir à «Armes égales» sur les voies d’une meilleure insertion des jeunes dans notre société politique. On se demande en effet souvent comment faire appel à cette jeunesse sans, pour cela, la flatter; comment l’accueillir sans «l’endormir» ; comment, enfin, utiliser son énergie sans annexer son esprit critique.

Quelques mesures techniques ne pourraient-elles pas, dans cet esprit, donner aux jeunes l’occasion de se former et de s’informer, d’acquérir solidement l’esprit de responsabilité et le sentiment que l’on a parfois d’être utile?

Au fond, la société ne sera vraiment nouvelle que si chacun peut y jouer un rôle. Une première mesure, simple et concrète, comme l’abaissement de l’éligibilité à 21 ans paraît s’inscrire naturellement dans le cadre de cette «nouvelle société», «jeune, généreuse et libérée».

Un point de vue de Michel Barnier dans Le Figaro du 15 septembre 1970.
Le Figaro

Une telle mesure, votée récemment par le Sénat et qui recueille de nombreux échos parmi les deux principaux groupes de la majorité n’est sans doute pas de celles qui flattent les jeunes. En outre, elle répond à une évolution logique puisque, sous la IIIe République, cette condition d’éligibilité était fixée à 25 ans et qu’elle fut ramenée, après la guerre, à 23 ans.

Calquant la majorité électorale, donc la majorité politique, sur la majorité civile, cette réforme n’est sans doute qu’une réponse très partielle au désir légitime que manifeste la jeunesse de participer, de manière constructive, à la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays. Sans doute aussi, ne s’adresse-t-elle, parmi les jeunes, qu’à ceux qui ont le goût de la «chose publique». Et, plus simplement, de la vie locale. Elle favorisera leur engagement. Elle aura, pour tous les autres, l’effet d’un stimulant sans être, pour autant, une mesure aveugle et arbitraire.

Ce sera le « commencement de la fin » du règne des notables et, avec lui, du culte des honneurs

Michel Barnier

D’une façon générale, soumettant les jeunes plus tôt au verdict des urnes, elle leur apportera plus tôt le sens des responsabilités. De plus, engagé dans un syndicat, dans un mouvement politique, dirigeant d’un foyer rural ou animateur socio-éducatif, le jeune qui «tentera le coup» dans les années qui viennent aura nécessairement reçu une solide formation de base.

Quel que soit alors le nombre de ceux qui seront élus, si petit soit ce nombre, ce sera une grande victoire des jeunes.

Ce sera le premier signe d’un style nouveau en politique. Ce sera l’assurance, pour la France de demain, d’avoir des dirigeants de mieux en mieux formés parce qu’ils auront une expérience de plus en plus solide. Ce sera le «commencement de la fin» du règne des notables et, avec lui, du culte des honneurs. Peut-être aussi, dans quelques années, une nouvelle image de l’homme public se sera-t-elle imposée à l’opinion. Un homme public qui ait non seulement les moyens mais aussi la volonté de se dégager de la politique traditionnelle, de la «politicaille», de la course aux portefeuilles et aux écharpes.

À cet égard, l’engagement des jeunes représente une chance pour la démocratie car c’est la promesse, pour demain, d’une conception mieux adaptée et plus efficace de la vie parlementaire et de l’action locale. Elles y gagneront en crédibilité.

Il est terrible de constater que les adultes d’aujourd’hui ont souvent peur des adultes de demain

Michel Barnier

En vérité, une telle mesure peut ouvrir la voie à des réformes plus profondes, visant à faciliter l’accueil des jeunes par notre société politique. Accueillir les jeunes, voilà la grande affaire!

Car il est terrible de constater que les adultes d’aujourd’hui ont souvent peur des adultes de demain. Porteuse d’un potentiel d’imagination, de contestation et de critique, la jeunesse française doit être respectée. Phénomène social, elle doit être entendue.

En adoptant cette mesure d’abaissement de l’éligibilité à 21 ans et en allant plus loin, nécessairement un jour vers le droit de vote à dix-huit ans, les pouvoirs publics prouveront à cette jeunesse qu’ils ne souhaitent pas l’enfermer dans un «ghetto», qu’ils ne recherchent à son endroit, ni une certaine exploitation ni la facilité et qu’ils lui font confiance.

Michel Barnier, rapporteur de l’UJP (Jeunes gaullistes) pour la jeunesse.



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