« Roman de gare » de Philibert Humm : les aventuriers du rail



Roman de gare

de Philibert Humm

Éditions des Équateurs, 224 p., 21 €.

En ouverture de ce voyage picaresque, l’avant-propos cocasse de l’éditeur cherche à dissuader le lecteur. L’auteur, soutient-il, pour de sombres raisons financières, a refait le même livre que son précédent, Roman fleuve, qui lui avait valu de recevoir le prix Interallié. Si lui, l’éditeur, le publie, « c’est par pure charité chrétienne… »

On soupçonne fort, derrière cette savoureuse entrée en matière, une nouvelle pitrerie de Philibert Humm, première d’une longue série qui parsème son récit. Une épopée improbable, à la manière des hobos américains, ces clochards ferroviaires qui se glissent clandestinement dans les longs convois de marchandises.

Échappée amicale

Philibert Humm (déjà ce nom devrait nous mettre la puce à l’oreille) est un drôle de zèbre. Il a besoin d’un coéquipier pour se donner du courage et le portrait à charge qu’il en dresse, sous prétexte d’amitié, vaut son pesant : « Il a le raffinement d’un sous-lieutenant de l’armée tchétchène et des manières de chaudronnier. » Simon, son alter ego, est un irrégulier singulier, « un vieux Peau-Rouge qui ne marche jamais dans une file indienne ».

Nos deux apprentis chemineaux s’en remettent au petit bonheur la chance. « Juste partir et rêver. » Ils se jettent de nuit dans la gueule noire de l’immense gare de triage de Villeneuve-Saint-Georges, hypothétique point de départ d’une pérégrination itinérante de trois mois, pensent-ils. Avant d’en rabattre, ils jouent les ethnologues dans les rues de la ville, ironisant sur les mœurs des indigènes, leurs motocyclettes bruyantes et leur manie de déambuler en chaussettes blanches et claquettes de piscine.

Attention au départ !

Avant de « brûler le dur », comme disent les auteurs américains, Philibert et Simon découvrent l’attente sans repères, et pour toute certitude, l’incertain. Ces usagers du rail d’un genre particulier doivent ruser avec les vigiles, ne pas rester en carafe au fond d’un convoi qui jamais ne part, et espérer, entre deux rasades de rhum tiré de leur sommaire paquetage, que leur wagon sera le bon. « Présumer, supputer, déduire sont les principales distractions du hobo », résume Humm.

Rejeton de « la béate génération », Philibert Humm renouvelle le récit de voyage, semant des potacheries à chaque pas, comme les six pages du livre laissées vierges sous prétexte qu’il est allé déjeuner. Ou des diatribes contre la sotte fierté des Bretons. Son humour décalé n’est guère le registre habituel de la littérature de voyage, d’ordinaire propice à poétiser et à philosopher. Quand il s’y risque, l’auteur s’envole, évoquant « deux copains montant à cru le grand cheval de fer en direction de l’infini ». L’infini, c’est beaucoup dire.

Quand tout déraille

Les Laurel et Hardy du ballast « se berlurent », confondent faisceau d’attente et plateau de débranchement, dépassent à peine le Massif central et rentrent au bercail, assez piteusement, huit jours après leur rocambolesque départ.

Entre la forfanterie de façade, les tartarinades de circonstance et la chronique de cette Berezina sans gloire, Philibert Humm régale le lecteur de traits d’esprit, de notations burlesques, de considérations hilarantes, avec un zeste d’autodérision et un penchant irrésistible pour le dénigrement réjouissant de son indispensable compagnon. Troussés par des agents de sécurité, puis repérés par des pandores qu’ils réussissent à berner, Humm écrit : « Quand ces gens-là vous tiennent à l’œil, ils ont vite fait de vous garder à vue. » Tout est de ce tonneau-là. On en redemande. Vite, un ticket pour le prochain.



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