« Sail, c’est un endroit éloigné, très retardé, très pauvre, qui n’offre pas d’avenir, mais c’est là d’où je viens »


La dernière portion de route menant à Sail est un supplice pour les véhicules, une piste à flanc de montagne, trouée d’ornières. Ce village himalayen de l’Etat de l’Uttarakhand, le « pays des dieux », n’est accessible ni par le rail ni par les airs. Il faut plus de douze heures de New Delhi pour rallier ce territoire situé aux confins de l’Inde, à la lisière du Népal. La rivière Mahakali, nichée en contrebas, trace la frontière entre les deux pays.

Des enfants jouent dans le village de Sail, dans l’Etat indien de l’Uttarakhand, le 25 mars 2023.

Ramesh Bisht, 42 ans, chauffeur privé à Delhi, emprunte ce parcours deux fois par an pour retrouver sa famille, et à lui la piste cahoteuse semble de velours. Jusqu’en 2015, il accomplissait les derniers kilomètres à pied, valises sur la tête. Il est né au village, dans la maison familiale, comme ses trois enfants, et espère y revenir dès que son fils de 13 ans sera en âge de travailler. « C’est un endroit éloigné, très retardé, très pauvre, qui n’offre pas d’avenir, mais c’est là d’où je viens », confie-t-il en insistant sur chaque syllabe.

Ces dernières années, Sail a comblé un peu de son retard. Mais le chemin est encore long. Il a fallu attendre 2016 pour que le village soit électrifié. L’eau courante n’est arrivée chez Ramesh qu’il y a deux mois.

Ramesh Bisht, chauffeur à Delhi, revient régulièrement dans son village natal de Sail. Ici, le 25 mars 2023, en compagnie de sa mère, de son fils, d’une sœur et d’un neveu, confié à la garde de la grand-mère.

Chaque famille a également reçu 15 000 roupies (environ 166 euros) du gouvernement pour installer des toilettes et des douches extérieures dans le cadre de la politique dite « de développement pour tous » promise par le premier ministre, Narendra Modi. Au moment de conquérir le pouvoir, en 2014, ce dernier s’était engagé à apporter à tous les citoyens l’eau, l’électricité et les toilettes, pour les 75 ans de l’indépendance, en 2022. Le chantier est loin d’être achevé : 25 % des ménages ruraux pratiquent encore la défécation en plein air, 40 % dans les Etats très pauvres du Bihar ou du Jharkhand.

Tâches les plus pénibles

Le village de Sail, sculpté en terrasses pour la culture du riz, s’étend sur plusieurs hameaux. On y dénombre quatre écoles publiques, sept temples hindous, 220 familles, soit environ 3 000 habitants, essentiellement des paysans qui pratiquent une agriculture de subsistance, sans irrigation. Seul le ciel peut assurer à ces terres une bonne récolte, de blé, de lentilles, les aliments de base. En dehors des champs, le travail est rare : un peu de maçonnerie, et l’armée pour les familles chanceuses – les contingents foisonnent dans la région.

Deux femmes dalits, autrefois appelées « intouchables », dans le village de Sail, dans l’Etat indien de l’Uttarakhand, le 25 mars 2023.
La collecte de fourrage est une tâche quotidienne pour les habitants de Sail, le 25 mars 2023.

« J’ai quitté le village à 18 ans, pour Lohaghat, dans notre district, avec mon père qui faisait de la soudure, je n’aimais pas, alors je suis parti seul à Delhi, où j’ai appris le métier de chauffeur », raconte Ramesh Bisht, tandis que la voiture s’approche du centre de Sail. Voilà vingt-quatre ans que ce montagnard, petit et râblé, mène une vie familiale décousue, comme à peu près tous les hommes des environs.

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