« Saules aveugles, femme endormie », séismes intimes



Saules aveugles, femme endormie ***
de Pierre Földes
Film d’animation français, luxembourgeois, canadien et néerlandais, 1 h 49

Les tremblements de terre font vibrer les âmes autant que les corps. Le célèbre écrivain japonais Haruki Murakami en a pris pleinement conscience lors du séisme de Kobe en 1995. L’auteur, jusque-là ancré dans un imaginaire déconnecté de l’actualité, revient alors à la réalité, qu’il mêle au fantastique dans ses récits labyrinthiques.

S’emparant de six nouvelles écrites par l’auteur nippon après le séisme et le tsunami de 2011, Pierre Földes, artiste touche-à-tout, en a tiré un scénario habile enchevêtrant les personnages et leur trajectoire au fil d’une narration parfaitement cohérente. Et pourtant, sur le papier, il est difficile de voir ce qu’il peut y avoir de commun entre un couple à la dérive, un chat perdu, un comptable dépressif et une grenouille de deux mètres de haut douée de parole…

L’histoire commence quelques jours après la catastrophe de 2011. Kyoko, sidérée par les images vues et revues à la télévision, décide de quitter subitement son mari Komura, qui, déboussolé, part en vacances pour prendre du recul. Son collègue, Katagiri, trouve à son domicile un batracien anthropomorphe qui veut l’embarquer dans une lutte à mort contre un gigantesque ver de terre tapi dans les entrailles de Tokyo.

Obsessions existentielles

Cauchemars éveillés ou réalité magique ? Les frontières sont toujours poreuses chez Murakami, comme dans cette adaptation, qui restitue parfaitement les ambiances étranges et oniriques de ses histoires. L’animation, naturaliste dans son approche de la gestuelle et des voix des personnages, mêle habilement un dessin animé aux couleurs pastel et la fluidité du mouvement en images de synthèse. Un traitement graphique qui, par la grâce d’un délicat jeu de transparence, permet de mettre en exergue les visions irréelles des uns et des autres.

C’est cette approche maniériste étonnante et envoûtante (mais peut-être déconcertante pour certains spectateurs) qui a séduit Murakami, pourtant réticent à l’égard des adaptations de son œuvre. Celle-ci semble d’ailleurs inspirer les cinéastes qui en ont tiré de très beaux films, Burning du Coréen Lee Chang-dong ou, plus récemment Drive My Car du Japonais Ryusuke Hamaguchi.

Ces longs métrages partagent les mêmes obsessions existentielles de personnages en pleine remise en question, dont le voyage à travers l’histoire est aussi intérieur. Fable onirique sur l’incommunicabilité des êtres, Saules aveugles, femme endormie invite à se laisser bercer par son atmosphère mystérieuse, seule capable, sans doute, de donner un sens aux tremblements de terre intimes.



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