Violette Dorange, la nouvelle vague



Ne pas s’y fier. Cette petite voix, ce minois tout sourire, ce prénom léger. Violette Dorange n’y paraît pas, mais elle porte un nom qui fleure bon l’héroïne de roman. Et puis il doit tout de même falloir un caractère bien trempé pour prétendre aller se faire rincer par les mers du Sud, très loin et toute seule au milieu de nulle part.

La demoiselle s’apprête à attaquer son premier Vendée Globe à 23 ans à peine, et ne semble pas plus chamboulée que cela. Mais n’allez pas hisser haut le cliché de la jeunesse inconsciente. Elle ne s’est pas toquée de grand large depuis six mois. Son affaire, elle la prépare avec une détermination bien ancrée et depuis belle lurette.

La mer, ce n’est pas une passion de jeunesse, mais un terrain de jeu précoce, parce que grandissant près de La Rochelle, ses parents l’inscrivent à 7 ans dans un club de voile, comme sa sœur et son frère. Elle n’est pas tellement fan du programme, mais bon. Elle s’accroche parce qu’elle aime surtout la compétition, « la bagarre », comme elle dit souvent. Elle n’est pas maladroite, alors elle se retrouve à participer à un championnat international en Argentine à 13 ans. « Je me rends compte que je peux voyager grâce à la voile, et me retrouver ainsi avec 300 autres jeunes de différents pays à l’étranger, c’est formidable, et ça me donne envie de continuer », raconte-t-elle.

L’appel du large

Mais déjà pointe l’envie de réaliser quelque chose de singulier. Ce sera la traversée de la Manche en Optimist, frêle esquif d’à peine plus de 2 m, un projet qu’elle prépare pendant un an avec son père. Une navigation de quinze heures et au bout, un déclic. « J’ai vraiment adoré ça, me retrouver au large seule, en partie de nuit, j’ai vibré. » Deux ans plus tard, elle essaye de retrouver les mêmes sensations sur un 420 dans le détroit de Gibraltar, mais le frisson n’est pas au rendez-vous avec seulement cinq petites heures à la barre. Elle veut plus, et va donc répondre à l’appel du grand large.

Ce qu’elle en connaît ? Les départs du Vendée Globe, auxquels elle assiste souvent parce que son père est un ami de Jean-Pierre Dick, quatre fois concurrent sur le tour du monde (4e en 2013 et 2017). C’est d’ailleurs le marin niçois qui la pousse à se lancer en 2019 sur la Mini Transat, la traversée de l’Atlantique sur des monocoques de 6,50 m, qui fait office de galop d’essai pour ceux qui ambitionnent de chevaucher les vagues au long cours. Elle épate, 16e de sa catégorie (sur 58). « Ce fut une confirmation pour moi, sur l’eau mais aussi en dehors, souligne-t-elle, car j’apprécie la gestion de tout un projet, la rencontre avec des entreprises pour trouver des partenaires, le travail d’équipe. Les journées sont toutes différentes. »

C’est au retour de la Mini Transat que s’impose l’idée de participer au Vendée Globe 2024. Sacré défi. La jeune fille n’a jamais piloté les grands monocoques de la classe Imoca. Tout est à faire. Trouver un bateau ? Avec son équipe, elle opte en 2020 pour un engin fiable : celui avec lequel Michel Desjoyeaux a remporté le Vendée Globe 2008, et sur lequel Jean Le Cam a terminé 4e du Vendée Globe 2020. Reste à contacter ce dernier, et à trouver le budget pour l’acheter.

« Violette a du courage, de la volonté, une tête bien faite et c’est une vraie compétitrice. Et puis pour ce bateau, mieux vaut une jeune fille qu’un vieux grigou comme moi », lâche bien à sa manière Jean Le Cam. Qui du coup lui réserve son Imoca, même si la skippeuse et son équipe mettent plus d’un an à trouver les fonds.

Une intense préparation mentale

La certitude de pouvoir lever l’ancre aux Sables-d’Olonne n’interviendra d’ailleurs qu’en janvier 2024, même s’il lui manque toujours 200 000 € pour boucler son budget (1,5 million d’euros). En attendant, Violette Dorange, en bonne bûcheuse – des études d’ingénieur en parallèle à l’Insa Rennes –, a embarqué toujours plus de compétences en terminant trois Solitaire du Figaro, et en bouclant plusieurs transats sur son Imoca baptisé Devenir, nécessaire pour se qualifier au Vendée Globe. « À chaque fois, j’ai dû apprendre très vite, avec une préparation très courte, sourit-elle. Mais c’est très stimulant. »

Elle s’est fait peur, aussi, encaissant notamment une méchante tempête sur la Transat CIC vers New York en mai dernier. Une angoisse dont elle témoigne dans une vidéo retraçant la course, la skippeuse bien de son temps utilisant aussi parfaitement les moyens de communication actuels. Elle sait très bien que le manque d’expérience sur de très longues distances risque de limiter son aventure, que la folie des mers du Sud en a tétanisé plus d’un. « Le Vendée Globe, c’est de toute façon toujours de l’inconnu, on ne sait jamais comment les choses vont se passer, commente-t-elle. Alors je fais beaucoup de préparation mentale pour anticiper toutes les situations. »

Depuis l’âge de 8 ans, c’est la même personne – sa « deuxième maman » – qui la suit ainsi et lui donne des « astuces ». Comme partir avec des enregistrements de ses proches, à écouter dans les moments les plus difficiles. Elle en aura. Mais elle ne « se prend pas trop la tête ». Elle va partir. Elle espère surtout boucler son tour du monde, et « raconter une belle histoire ». Jusque-là, elle n’est pas mal.



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